Steelrising : interview de Jehanne Rousseau

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Fondatrice et CEO de Spiders, Jehanne Rousseau est aussi derrière l’écriture des jeux de son studio et récemment médaillée de l’ordre du mérite. Nous avons pu échanger en marge de la présentation de Steelrising.

Depuis Greedfall, Spiders semble s’être pris d’amour pour les parallèles avec notre propre histoire et les Uchronies. En ce qui concerne Steelrising, quel a été le cheminement qui l’a amené à Paris en 1789 ?

Au départ Steelrising ne se déroulait pas dans cet univers, c’était assez abstrait. Nous avions déjà les automates mais dans une cité un peu inspirée des dessins de François Schuiten, ce qui donne ce genre de cités un peu oniriques, étranges. Et en fait, même si le concept nous paraissait sympa, on se rendait compte qu’il manquait quelque chose en terme narratif pour ancrer vraiment le jeu. Je suis allée tout simplement voir l’expo sur Marie-Antoinette au musée de la Conciergerie et très très chouette expo d’ailleurs, et je me suis dit mais en fait, elle est là la réponse. On va utiliser effectivement le XVIIIe siècle. D’autant que c’est une époque où effectivement les automates étaient très à la mode, des automates de cour où effectivement il y avait des grands ingénieurs qui créaient des machines absolument incroyables et on s’est dit ça a du sens. On s’est souvenu aussi de la passion de Louis XVI pour la mécanique, pour les serrures, etc. Tout est tombé en place très très vite à partir du moment où on s’est dit mais c’est cette époque qu’il faut.

Et du coup, vous avez eu la possibilité de faire le même travail de recherche historique que vous aviez fait pour Greedfall ?
Alors oui, on a du coup dû repartir quasiment en pré-prod, au moins sur la partie univers narrative. Et évidemment en DA aussi, puisqu’il fallait changer pas mal de choses à ce niveau-là. Même le gameplay a été un peu adapté et on a fait à la fois beaucoup de visites dans les musées, beaucoup de recherches dans différents bouquins. J’ai dû dévorer les biographies d’un certain nombre de personnages de l’époque, alors, en sachant que ça reste une uchronie, on a des automates de trois mètres de haut là-dedans. Donc évidemment, on n’est pas dans un réalisme historique pur. Mais justement, à chaque fois qu’on découvrait un fait ou qu’on approfondissait un personnage, il fallait se demander ce qu’on gardait et ce qu’on ne gardait pas et comment l’intégrer dans notre version de l’univers. C’est une démarche assez passionnante, mais c’est toujours de savoir doser ce qui est historique et ce qui l’est moins. On a eu les conseils d’une historienne aussi, surtout pour un personnage qui a un passage qui est assez peu connu, Julien Raimond, Et comme c’est un personnage sur lequel on avait du mal à trouver des infos, on a contacté une spécialiste pour qu’elle nous aide à y voir plus clair. Donc c’est à chaque fois passionnant parce qu’on est vraiment à fouiller dans les archives, à aller simplement faire des balades dans Paris avec des appareils photos pour prendre des références, à aller chercher aussi dans les archives de la BNF en ligne pour retrouver des vieux plans par exemple. Donc il y a toute cette partie qui est très très chouette et en même temps à chaque fois de se dire oui, mais nous, on est dans cet univers parallèle donc il faut qu’on fasse attention à tout ça. Réfléchir à ce qu’on doit garder, c’est assez passionnant.

Cette modification de l’univers que vous aviez à l’origine en tête, a modifié l’écriture, j’imagine. Est-ce que ça a modifié les thèmes que vous vouliez aborder dès le départ ?
Pas tant que ça en fait. Peut-être un peu parce qu’on avait sans doute des thématiques qui étaient un peu plus écologiques dans la première version du jeu, alors que là, on est parti plus sur une thématique sociale de manière assez évidente. Par contre, une thématique qu’on a conservée, c’était la quête du créateur, et ça, c’est quelque chose qu’on a effectivement conservé, même si on a modifié énormément de l’histoire par rapport à tout ça. C’est effectivement ce côté, un petit peu Prométhée, un petit peu Frankenstein aussi, c’est une thématique qu’on retrouve dans de nombreuses œuvres ou dans de nombreux mythes, et c’est quelque chose qu’on a effectivement conservé. Mais honnêtement, la thématique écologique s’efface au profit d’une thématique plus sociale et peut être aussi en rentrant dans l’histoire, ça fait ressortir aussi un certain nombre de choses. On a découvert des choses aussi en faisant ces recherches et c’est intéressant.

Ça veut dire qu’on peut espérer un ROBOT-Spierre de quinze mètres ou un GUNDAM Danton ?

Dans les découvertes qu’on a faites et ça a été un peu une surprise, parce que, comme un peu tout le monde je pense, Robespierre, c’était la Terreur. C’était le loup sanguinaire. Le Robespierre de 1789, parce que le jeu se passe vraiment en 1789 juste avant la prise de la Bastille, c’était un Robespierre qui était complètement différent, très idéaliste, qui se battait contre la peine de mort, anti-esclavagisme, très très engagé et sur des thématiques qu’on n’attend pas d’un personnage tel qu’on l’a souvent présenté en Histoire à l’école. Ça fait partie des petites surprises qu’on a eu en fouillant dans tous ses discours, on a vraiment découvert presque un autre personnage qu’on ne connaissait pas. Donc non, il n’y a pas de mecha Robespierre du coup (rires) mais on en a quelques-uns qui devraient, je l’espère, vous plaire.

 

 

Est-ce que créer un RPG SF/Futuriste permet d’aborder les mêmes thèmes qu’un RPG d’époque ?

Je pense que dans un jeu on va retrouver les mêmes gimmicks que dans la littérature. La fantasy a plus de mal à aborder des thématiques contemporaines que la SF, qui est souvent plus pertinente sur ces sujets. Et pourtant, finalement, on peut quand même le faire. On l’avait vu à travers, à travers Greedfall. On avait réussi à travers un univers de fantasy, peut-être pas médiéval fantastique. C’est vrai, parce que c’est aussi un peu par lassitude qu’on était allé vers le médiéval fantastique. Mais on avait pu aborder des thématiques qui restent contemporaines, comme le colonialisme et toutes les questions que ça peut suggérer, l’écologie aussi. Un certain nombre de choses qui sont, j’espère, encore pertinentes aujourd’hui, mais je pense qu’on les aborde différemment. Effectivement, on peut se permettre sans doute surtout avec les dystopies, d’être très critique, très sombre, très cynique. Ce qui est évidemment plus difficile à faire dans des univers fantasy. C’est possible, mais plus difficile. Là, on est un peu entre les deux parce que certes, on est sûr de l’historique, donc on pourrait se dire qu’on est plus proche de la fantasy, mais en réalité, on n’a pas de dragons, on n’a pas de tout ça. Le format uchronie nous place finalement un petit peu entre la dystopie et entre la fantasy, et ça nous donne une certaine souplesse aussi pour aborder certaines thématiques. Alors ça reste un jeu qui est très action par rapport à nos précédents jeux, donc forcément la narration est un peu différente, on n’écrit pas de la même manière du tout. La narration est plus environnementale, elle est portée aussi par beaucoup d’éléments qui vont des descriptions d’armes ou de petites notes qu’on va trouver un peu éparpillées. C’est un petit peu moins mis en scène, un petit peu moins porté par les dialogues avec les personnages, mais on parvient tout de même, je pense, du moins j’espère, à raconter des choses. C’est plus un puzzle à reconstituer pour le joueur, un joueur qui a envie vraiment de découvrir tous les aspects. Il existe sûrement des joueurs qui vont juste foncer dans le tas, s’éclater et tant mieux. Mais j’espère qu’il y en aura d’autres qui vont essayer de reconstituer le puzzle pour comprendre tout ce qui se passe. Car pourquoi la révolution était aussi intéressante ? C’est que même si on fait souvent un récit qui est assez simplifié avec les gentils révolutionnaires contre les méchants nobles et vice versa, ce n’est pas si simple que ça. On trouvait, en tout cas au début de la Révolution, les partisans d’une forme de monarchie constitutionnelle et des révolutionnaires plus durs déjà mais eux-mêmes n’osaient même pas imaginer se débarrasser du roi. On cible donc plusieurs courants politiques qui émergent, on voit les oppositions qu’il peut y avoir avec aussi des gens qui étaient payés en sous-main par des gouvernements étrangers. On a donc découvert une complexité que nous avons essayé de distiller dans le jeu. Je pense que cette complexité est un propos qui est toujours pertinent notamment les influences étrangères, la pureté des idées face à une réalité qui n’est pas toujours permissive surtout à l’époque. De voir aussi les répressions d’une population qui est enfermée chez elle, effectivement ça fait penser à certaines choses (rires). Ça reste une fable, nous ne voulons ni leur faire la morale ni leur faire une leçon d’histoire mais on espère qu’ils découvriront des choses au-delà, aussi, du plaisir de jouer.

Et en termes de plaisir d’écriture, est-ce plus agréable d’écrire pour un vrai RPG ou pour un jeu plus hybride comme Steelrising ?

Je vais avoir du mal à répondre car j’ai écrit sur l’univers mais pour une fois ce n’est pas moi qui ai écrit les dialogues. J’avoue me sentir plus à l’aise sur un format Greedfall, car on dispose de plus de possibilités d’explorer plein de thèmes, là c’est aussi un jeu qui est plus contraint, d’une certaine manière, par l’action. En même temps, nous nous sommes posé beaucoup de questions, notamment lors de la conception des niveaux, chose que l’on fait un peu moins dans des jeux plus narratifs car la narration est portée autrement, mais c’est intéressant, ce sont des expériences différentes. Toutes les réflexions qu’on a pu avoir sur nos choix (lieux, personnages…) c’était quelque chose de très excitant et intéressant.

À quelle question, qu’on ne vous a jamais posée, rêvez-vous de répondre ?

On m’a posé beaucoup de questions à travers les années (silence). Bonne question j’avoue. (silence) Des questions sur la création d’univers et vers quels nouveaux univers on aimerait aller. Et je ne suis pas sûre d’avoir la réponse en plus. Mais parce que la réponse m’intéresse en plus. J’aime beaucoup explorer l’histoire et la mélanger avec de la fantasy, du fantastique, des robots, peu importe, des fusées peut-être des extraterrestres. J’aimerais assez du mash-up entre du Alien, enfin ce genre de créature terrifiante et un contexte historique assez sérieux. Oui c’est quelque chose qui m’intéresserait assez. Puis comment le lier au gameplay, car sans ce lien ça m’intéresse beaucoup moins. Quel type de nouveau gameplay on pourrait imaginer ?

On peut dire que les univers vous viennent avant les thématiques abordées ?

Souvent ça vient ensemble. C’est souvent porté par discussions qu’on a avec l’équipe, avec Sébastien le lead game designer, avec le DA, on essaye de se demander ce dont on a envie de parler et quel gameplay, quelle nouveauté… et souvent ça émerge naturellement. On essaye d’être à l’écoute du reste de l’équipe. Celle-ci grandissant, on a de plus en plus d’influences, ça donne des choses assez riches et nous sort de notre zone de confort et les résultats sont intéressants, j’ai bien envie de continuer de travailler de cette manière-là et pour l’équipe, c’est plus plaisant.

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