Lead Designer pour Civilization V, Jon Shafer s’est permis un petit projet indépendant en 4X novateur sobrement intitulé At The Gates.
TEST – At The Gates
Prix : 26,99€
Date de sortie initiale : 23 janvier 2019
Version pour le test : Steam
At The Gates est un projet financé sur Kickstarter à hauteur de 106 283 dollars (pour 40000$ demandés) par un peu plus de 3000 personnes. Il a été lancé par le lead designer de Civilization V, Jon Shafer qui a donc pris ses distances pour mettre à bien un concept qui lui tenait à cœur. Il n’est pas question de forger son empire mais plutôt de le préparer à devenir le nouveau maître de la région, profitant ainsi de la décadence de l’Empire Romain. Mais comme vous vous en doutiez, il y a bien des barbares qui convoitent ce statut et il faudra la jouer finement et répondre aux attentes des différents clans qui vous rejoignent.
Posons les premières pierres
De la stratégie en 4X, cela nécessite beaucoup de temps pour comprendre tous les rouages et le gameplay. C’était déjà le cas pour des titres comme Endless Space, Civilization et d’autres qui ont gagné en complexité avec l’âge. Pour At The Gates, c’est pareil. Il introduit des mécaniques intéressantes mais qui demandent une maîtrise que l’on obtiendra qu’en jouant quelques heures. Néanmoins, il existe un grand obstacle pour la communauté francophone des joueurs, le titre de Jon Shafer n’est pas traduit et nous force à réviser notre anglais. Lorsque l’on passe de 2K à son propre studio indépendant, forcément la localisation s’avère plus compliquée à financer. Donc, si jamais vous êtes réticents à lire tous les textes et explications dans la langue de Shakespeare, vous pouvez déjà supprimer ATG de votre wishlist. Néanmoins, on ne se plaindra vraiment pas de l’immense corps du texte qu’on retrouve dans le jeu, il compose la barre d’outils. Tout est expliqué et nous sommes en mesure d’apprendre toutes les mécaniques, tous les rouages de ce jeu de gestion stratégique en 4X.
Tentons d’expliquer les grandes lignes et surtout les éléments majeurs du gameplay, images en soutien.
- Tribus : il en existe 10 mais vous êtes contraints de commencer avec les Goths, il faudra débloquer les Huns, les Vandales, les Alamans, les Pictes, les Lombards, les Francs, les Slaves, les Saxes et les Avars. On nous montre, et ça c’est loin d’être nouveau dans le genre, que chaque tribu a ses propres caractéristiques et bonus. Pour les Goths, vous jouez Alaric, vous commencez avec 15 en stock de pain et 100 en Trésor (au lieu de 10 et 40).
- Clans : trois clans dès le début puis d’autres rejoindront successivement votre tribu au cours de votre partie. La complexité de vos relations réside dans le fait que chaque clan possède ses aspirations et ses compétences. Vous devrez les faire vivre ensemble pour garder une cohésion et les faire travailler pour pérenniser votre royaume. Pour le vivre ensemble, c’est assez particulier puisque certains clans ne supportent pas d’être aux côtés d’un autre clan donc il peut naître une querelle. A ce moment-là, c’est à vous de décider quel peuple punir, ce qui apportera un malus au désavantagé et un bonus à celui que vous avez protégé. Si vous ne prenez pas parti, cela risque de retomber sur vous d’une façon ou d’une autre.
- Disciplines et Métiers : il sera nécessaire d’entraîner rapidement vos troupes vers une discipline et six sont disponibles : Honor (regroupe tous les métiers de combat, autant chasseurs que soldats…), Agriculture, Livestock (tout ce qui est autour du bétail), Metalworking, Crafting et Discovery. Chacune de ces disciplines cache bien 18 métiers, tous hiérarchisés, c’est-à-dire qu’ils ne seront pas tous disponibles au début. Il faut plusieurs tours pour les débloquer et les avoir choisi au préalable. Certains nécessitent 3 tours, d’autres 100, vous avez le temps de faire grandir votre royaume mais il faudra prendre des décisions autour des jobs à développer.
Déroulement
Vous devrez donc décider où investir votre temps et quels secteurs vous allez développer. Certains sont importants pour explorer, d’autres pour collecter des vivres, pour fabriquer des ressources etc. Votre première mission est donc d’assigner à chaque clan ses projets, formation, déplacement ou récolte. Pour chaque clan, vous avez une limite de points d’actions et un petit avatar qui peut se déplacer ou rester dans le QG. Sachant qu’il s’est spécialisé dans un domaine, son rôle se limitera à quelques mouvements. Pour des explorateurs, des chasseurs, des agriculteurs, il sera nécessaire de se déplacer, d’identifier la ressource et de la travailler pendant quelques tours pour que cela vous bénéficie.
Néanmoins, il existe quelques contraintes. La météo, les autres clans, les bandits, il existe divers éléments à prendre en compte dans At The Gates. Le cycle des saisons est une problématique majeure puisque l’hiver vous empêche souvent de profiter des récoltes, de faire vivre vos fermes, de bouger certains clans. On en revient aux particularités des clans. Certains détestent l’hiver et il faut donc les rappeler au QG quand celui-ci est glacial, d’autres clans n’aiment pas l’eau. N’omettons pas les volontés de chacun en matière de métier, certains ayant une accointance pour certaines disciplines et un rejet vers d’autres, nous forçant à les former pour un métier puis vers un autre. At The Gates a un petit côté gestion non-négligeable qui est présent pour relever le niveau de difficulté et qui reste plutôt agréable.
Par contre, côté stratégie, cela se rapproche du néant en matière d’interaction avec les autres tribus.
Du potentiel mais des limites
C’est un jeu de stratégie et de gestion en 4X, cela implique donc d’autres factions. Néanmoins, elles ne se manifestent que trop peu de fois. Au cours de ma partie, je n’ai que trop ressenti l’absence de véritables interlocuteurs, de rivaux, de menaces ou d’alliés. Les autres camps ne se manifestent que de la plus simpliste des manières et assez peu régulièrement. Une première rencontre pour se présenter, d’une phrase sympathique ou pas, avec le minimum pour indiquer les états d’âme ou les intentions voire la simple sympathie.
Idem pour nos différents tours, ils se déroulent sans grandes interventions des rivaux alors même qu’ils vous ont menacé ou annoncé comme étant en conflit avec votre tribu. Or, j’ai plus eu l’impression que Clovis m’a confié son hostilité sans passer à l’action. Dans d’autres jeux du genre, dont Civilization, la guerre était à peine déclarée que nous sentions le danger approcher d’une de nos places fortes. Dans At The Gates, nous gardons à maintes reprises cette désagréable sensation de jouer seul. C’est grandement dû au manque global d’interactions avec les autres tribus. Même s’ils se présentent à nous, que leur sphère d’influence est visible, ils restent passifs. Il faut vraiment s’aventurer loin avec son homme pour qu’il se fasse abattre, à moins que ce soit un bandit qui s’en charge. D’ailleurs, nous avons aperçu des bandits s’aventurer un peu partout, pas les éclaireurs des autres prétendants au trône impérial romain.
Alors nous avons bien de courtes lignes de textes indiquant que telle tribu vous a cédé de l’or en l’honneur de votre alliance, que les Pictes sont en conflit avec les Alamans (par exemple). Dans les différentes situations, nous avons juste remarqué deux propositions différentes, être ami ou donne-moi tes ressources sous risque d’être ennemi. Cela manque de profondeur et il faut l’avouer, cela se ressent visuellement à chaque interaction avec les tribus, le design paraît old-school et ce ne serait pas inquiétant si Jon Shafer nous offrait davantage de choix.
Pour une production à petit budget, nous nous attendions pas à une interface ultra-moderne, d’ailleurs visuellement ce n’est pas si moche. La météo dynamique apporte un réel plus et n’est pas désagréable à voir entrer sur la map. Après, si l’interface fait souvent vieillotte, ce n’est pas si dérangeant, on s’y habitue. L’important reste le cœur du gameplay et At The Gates est convaincant sur certains points comme la hiérarchisation des métiers et la gestion des clans. Il existe même quelques bonnes idées autour de la caravane qui nous invite à savoir gérer son budget, à faire du troc et à vendre certaines ressources pour en acheter d’autres. Malheureusement, d’autres secteurs ne restent pas tous autant probants notamment son écosystème stratégique entre les différentes tribus, ce qui devrait logiquement constituer un chaînon majeur.
At The Gates mérite encore quelques patchs pour être peaufiné et devenir un jeu 4X de grande qualité. Si nous apprécions ses caractéristiques en tant que jeu de gestion (les clans, les métiers, les troupes, l’exploration), il est difficile d’être aussi emballé pour ses composantes de jeu de stratégie. Un gros travail reste à réaliser sur l’IA et le système d’interactions avec les autres clans qui ne permettent pas de savourer l’expérience de jeu. Certes la découverte fut agréable lors des premières sessions mais le concept imaginé par Jon Shafer, même prometteur, reste encore à parfaire.