TEST – Kingdom Come Deliverance ou ce supplément d’âme

Si certains développeurs soignent la forme plutôt que le fond, Warhorse a clairement choisi d'ensevelir un fond de liberté dans une enveloppe médiévale entraînante avec Kingdom Come Deliverance.

Support de test : PS4, aussi disponible sur Xbox One et PC.
Version du jeu testée fournie par l’éditeur.
Informations annexes : site officiel ici.

Il est des jeux qui ne sont pas parfaits mais qui procurent à leur titre un supplément d’âme, cet atout qui vous fait rester de bout en bout sur une œuvre imparfaite. Quel ne fut pas notre plaisir d’apercevoir ce supplément d’âme chez Kingdom Come Deliverance, première création de Warhorse Studios, entreprise fondée à Prague en 2011 par des anciens de 2K Czech. Trois ans après, en 2014, le peuple finançait le projet en dépassant le cap du million de dollars sur Kickstarter. Le 13 février 2018, la fin d’une grande épopée pour Warhorse signifiait le début de celle des joueurs. L’aventure fut épique, tumultueuse, nous laissant parfois des sentiments mitigés mais sur une opinion nette : notre expérience de jeu sur Kingdom Come Deliverance a été enrichissante. Revenons dessus en quelques lignes.

Pas la Bohême d’Aznavour

Si le grand Charles évoquait le Montmartre de sa jeunesse, le studio Warhorse nous plonge bel et bien dans la Bohême du début du XVe siècle, en 1403. Comme le générique de début vous le répétera pendant de (trop) longues minutes, le contexte historique est conflictuel puisque deux frères se disputent cette région d’Europe après la mort de leur père, l’Empereur Charles IV. Ainsi, Sigismond profite des faiblesses de son demi-frère Venceslas pour le capturer et laisse une région en proie à tous les dangers. Quant au héros, il n’a, au départ, rien d’un héros. Nous incarnons Henry, le fils du forgeron de Skalice, qui préfère faire les 400 coups plutôt que d’aider son père. Alors quand son village est rasé par une horde d’ennemis, il ne lui reste plus qu’à s’engager dans la résistance, apprendre à survivre et entamer son odyssée.

La vie d’Henry change alors à tout jamais. Il est mêlé à une guerre qui le dépasse, lui qui s’adonnait simplement à une vie frivole, entouré de ses comparses et d’alcool d’un côté, de ses parents de l’autre. Désormais, ce sera l’épée à gauche, l’arc du côté droit. Puis, il sort traumatisé de l’attaque des Coumans, sans un Groschen en poche et aucune compétence à son actif. Et c’est à nous de développer les savoirs de notre homme en plus de ses caractéristiques, de déterminer sa destinée et son sens moral.

kingdom come deliverance

L’épopée d’un forgeron

Au départ, vous n’étiez qu’un fils de forgeron nonchalant, vous êtes désormais livré à vous-même. L’épée, il vous faut apprendre à la manier car sans entraînement, vous vous faites rapidement assassiner. Les livres, impossible de les lire, vous êtes analphabète et c’est au cours de votre périple que vous aurez un professeur qui améliorera vos acquis. L’alchimie, le vol à la tire, le crochetage, c’est pareil, vous serez une bille lors des premières heures de jeu. Chacune de ces disciplines – car presque indispensables si vous souhaitez vous faciliter votre voyage – nécessitera des heures de pratique. Et c’est ce qui est tout aussi appréciable dans Kingdom Come Deliverance, vous n’êtes rien et votre expérience de jeu influe directement sur votre apprentissage. Si vous passez plus de temps à chasser à l’arc qu’à découper les sangliers avec votre épée, vous gagnerez en agilité et pourrez acquérir quelques techniques pour optimiser vos tirs. Si vous passez vos nuits à tenter de crocheter les serrures, vous gagnez en skill dans cette compétence. Si vous assommez tous les voyageurs, vous gagnez en furtivité. Si vous ramassez toutes les fleurs possibles, vos capacités d’herboriste vont grimper. Si vous acceptez tous les duels, au poing ou à l’épée, vous gagnerez en force plus rapidement. Il existe tant de compétences à débloquer que l’on souhaite toutes les acquérir.

Puis, Warhorse ne vous donne pas la main, ne vous laisse pas dans la facilité, il faut vous faire du mal, vous entraîner si vous souhaitez développer votre personnage. On vous laisse une liberté presque totale, ce qui nous procure des sensations de jeu grisantes. L’écosystème autour du personnage, du comportement de Henry, des compétences acquises et du temps passé sont incroyablement cohérents et rendront l’expérience de chaque joueur unique.

Il s’agit d’une réelle épopée et le studio slave nous donne un goût avéré pour l’exploration. Une fois que vous serez équipé d’un cheval, vous bénirez les dieux. Vous naviguerez d’une quête à une autre, principale ou secondaire, et on vous demandera souvent de faire preuve de jugeote. En effet, si vous êtes habitués à suivre un script bien précis et à casser des bouches pour obtenir des réponses, ce sera différent dans Kingdom Come Deliverance. Nous ferons davantage de porte à porte, interrogerons les habitants pour qu’ils puissent nous diriger vers la vérité. Et pour cela, un système de dialogue a été spécialement mis en place. On ne se contente pas simplement de choix de dialogues pures et simples, ceux-là se reposeront également sur vos compétences, ce qui fait de l’éloquence un atout presque indispensable dans notre aventure. Par exemple, lorsque nous conversons avec un PNJ susceptible de nous donner quelques réponses, il faut choisir quel ton donner, miser sur l’éloquence, la force ou d’autres façons plus douces afin d’obtenir ce que l’on veut. Un marchand est ainsi capable de nous faire de meilleurs promos, un garde de nous laisser tranquille, un habitant de nous indiquer quelques scoops utiles pour notre mission, etc.

Kingdom Come Deliverance

Apprends vite et débrouille-toi !

Dans Kingdom Come Deliverance, il ne s’agira pas d’être le Musclor invincible qui décrochera la mâchoire d’une cinquantaine d’ennemis en 10 minutes, non cela reste réaliste. Les ennemis en général, ce sont les Coumans et vous n’en trouverez pas tout autour de vous. Vous aurez surtout l’occasion d’en croiser lors de certaines quêtes et ils demeurent redoutables au combat, surtout lors des premières heures de jeu. Pour éliminer vos différents adversaires, vous devrez acquérir un certain skill au combat, que ce soit à l’épée, à la hache ou aux poings, l’arc étant surtout utilisé en mode furtif. Et pour cela, un réel entraînement est nécessaire, l’art du combat est loin d’être aisé chez Warhorse. Les attaques se font par zones corporelles, avec cinq cibles situées au crâne, et les deux côtés (haut et bas). Il sera donc demandé d’enchaîner les offensives ciblées, tout en gérant son endurance, de défendre selon ces mêmes zones, de contrer, d’esquiver et même feinter. Une fois maîtrisé, le système est vraiment intéressant, prenant et on se plaît à attaquer, surtout en 1 contre 1.

Si dans les premières sessions, l’erreur sera presque fatale tant notre Henry est encore un bambin, il deviendra vite efficace selon votre apprentissage et obtention des différentes compétences, que vous devrez choisir selon votre style. Au combat, on nous autorise plusieurs possibilités d’amélioration, à savoir des enchaînements précis – donc à reproduire fidèlement (exemple imaginé : haut gauche, bas droite, tête, bas gauche, haut droite) – pour déstabiliser l’ennemi en face de vous. Le folklore de cette époque médiévale est rappelé par quelques PNJ, à savoir des chevaliers au grand cœur qui souhaitent – sans raison précise – vous provoquer en duel. Plus curieux encore, nous pouvons engager la conversation et selon les choix de dialogue, négocier un enjeu supplémentaire, transformer cet affront en duel à mort, le dissuader de combattre ou raconter les raisons de ses envies de fight. J’ai éprouvé un plaisir certain à connaître toutes ces options, à engager le dialogue et voir à quel point la mécanique existe presque pour tout le monde. Ensuite, je ne vous cache pas qu’il m’arrivait de zapper ces quelques mots car ils commencent rapidement à se répéter. D’ailleurs, on voit ici certaines limites de Kingdom Come Deliverance qui, malgré la richesse de son monde ouvert, n’a pas pu céder à tous les personnages des dialogues personnels, mais trop souvent une pensée unique. Ainsi, on verra certains PNJ énoncer les mêmes phrases que d’autres, au mot près.

Parfois dans le dur…

Et Kingdom Come Deliverance comporte bien d’autres défauts malheureusement, notamment dans la forme. Des défauts d’optimisation, de textures avec des graphismes qui demeurent parfois éloignés des normes de la PS4/Xbox One et PC. Des maisons qui mettent du temps à s’afficher sous de bonnes formes, des bugs à répétition, des quêtes impossibles à compléter car buggées (chez nous, c’est l’initiation au vol à la tire, autant vous dire que cela nous a pénalisé même si on a su faire avec). Encore une fois, on a envie de se pendre lors des premiers essais du crochetage. Malgré tous les tutos du monde, pour ouvrir d’autres coffres que ceux des serrures « ultra-faciles », on éprouvera toutes les peines du monde.

Et dire que les sauvegardes automatiques n’existent pas, hormis celles après sommeil et certaines quêtes. Si vous voulez sauvegarder, vous avez les deux options citées précédemment ou alors préparer/acheter des Schnapps du sauveur (faciles à préparer mais chers à l’achat). Heureusement, depuis la dernière mise à jour, il est désormais possible de sauvegarder avant de quitter la partie. Les manques sonores existent encore, des PNJ qui remuent leurs lèvres sans aucun son, là on remercie les sous-titres réguliers… quand ils ne sont pas restés en anglais. Au combat, le bouton R2 ne répond pas toujours immédiatement, embêtant quand on pense qu’il sert à attaquer avec l’épée. Mais heureusement, les développeurs ont employé de nombreux patchs afin de corriger l’expérience de jeu, que certains problèmes ont déjà été gommés, que le studio continuera encore pendant quelques semaines tant le chantier est grand. Mais pour un projet de cette envergure, ce n’est pas étonnant.

Mais toujours magique.

Si on déplore ces quelques faiblesses dans la technique, il demeure que l’univers proposé par Kingdom Come Deliverance reste séduisant au possible, une ode à l’exploration comme on en demande. Ils sont parvenus à se reposer sur un contexte historique réel tout en créant l’histoire d’un jeune forgeron au cœur de ce conflit qui le dépasse et qui doit mener sa quête personnelle à petite échelle, et la sauce prend. L’aventure reste passionnante pour le joueur, notre expérience de jeu est devenue parfois addictive et ce malgré la redondance de certaines activités. On se plait à chasser des lièvres, des cerfs ou des sangliers afin d’optimiser nos statistiques de chasseurs, de se faire de la monnaie sur la peau des animaux ramassée. On se plait à explorer au cheval les différents environnements, à descendre à pied et assommer ou assassiner les voyageurs, à découvrir des grottes – malheureusement, régulièrement sans entrée – des lieux à intérêt ainsi que des camps coumans sans le vouloir.

Et même si la modélisation des boutiques ou des logements est parfois bien crade, la réalisation de la région reste chatoyante, de par ses panoramas, son folklore, ses cinématiques bien senties voire sa carte et son menu bien dessinés. D’ailleurs, à partir de la carte, nous pouvons entreprendre des voyages rapides, ce qui permet à Henry de voyager d’une ville à une autre sans effort de notre part. Le plaisir d’explorer, la sensation grisante de liberté, notre intérêt constant à suivre des missions, l’écosystème de la région et la cohérence de toutes ses mécaniques, j’ai plongé dedans avec autant de plaisir qu’Obélix dans la marmite. Et c’est au niveau des missions qu’il parvient encore à nous attirer. Même si certaines nous ont clairement cassé les pieds, de par l’absence d’indication et d’indices, on aime tenter d’aller jusqu’au bout et on y reste en fouillant les différentes options. Où se trouve la bourse cachée par le Couman ? Comment entrer dans ce foutu monastère ? Quelle était la dernière indication de chemin déjà ? C’est noté nulle part ? On va se le faire ce jeune seigneur prétentieux ? Tout comme Henry, le joueur est parfois est livré à lui-même et cela reste tellement rare qu’on y prend un réel plaisir malgré nos plaintes.

Kingdom Come Deliverance n’est pas le titre open-world le plus optimisé de la décennie mais il présente un univers diablement original et enivrant. L’aventure d’Henry reste unique, dans une Bohême qui s’attache à offrir un écosystème cohérent, pour une épopée qui nous a maintenu en ébullition de bout en bout. Comme quoi, quand on s’attache à soigner le fond bien plus que la forme, on passionne bien plus le joueur, même dans une aventure réaliste qui ne vous fait pas tuer 200 ennemis à l’heure. Mourir 1000 fois était un plaisir, forger notre forgeron aussi. Un soft unique que l’on conseille à tous, surtout aux joueurs qui sont prêts à souffrir durant leur apprentissage.

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Évaluation de l'article

Points forts

  • Un écosystème bien réalisé
  • Système de dialogues ingénieusement pensé
  • Nos actions influent sur les stats du héros et sa réputation
  • Les combats à l'épée
  • Le système d'apprentissage
  • L'atmosphère de la Bohême
  • Son scénario

Points faibles

  • Des bugs parfois contraignants
  • Des graphismes loin d'être optimisés
  • Le crochetage, quelle plaie !
8.5

Great

Toujours dans la magique potion du jeu vidéo !
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