Attendu au tournant par bien des joueurs depuis sa première annonce lors de l’E3 2017, Anthem portait déjà un lourd poids sur ses épaules avant même sa sortie. Et pour cause : le studio derrière le jeu n’est autre que BioWare, connu pour la saga Mass Effect et Dragon Age, et qui signe ici un jeu très éloigné des RPG solo à forte épaisseur narrative qui ont fait son succès pour se rapprocher d’un modèle (économique) en vogue : le jeu-service.
• Développeur / éditeur : BioWare (Edmonton) / Electronic Arts
• Support de test : PC (i5 2500K – GTX 1060 6Go VRAM – 8Go RAM)
• Version du jeu utilisée : édition standard fournie par l’éditeur (EA) / ce test couvre le jeu de la version 1.0.2.00 (patch « day-one ») à 1.0.3 (patch du 09/03/19)
• Disponible sur : PC (Origin), Xbox One, PS4
Homme de terre et homme de fer
Anthem n’est pas un jeu facile à appréhender. Au vu de l’attention portée à certains aspects du scénario, il est tentant de le comparer aux licences de BioWare l’ayant précédé. Toutefois, si on prend un peu de recul, on se rend compte qu’il serait injuste pour Anthem d’être ramené à des jeux qui n’ont finalement qu’une poignée d’aspects en commun avec lui. Car Anthem n’est pas un RPG solo modifié pour coller au modèle des jeux-service : Anthem EST un jeu-service. Et c’est ainsi qu’il convient de le juger.
Après avoir énoncé ce postulat, penchons-nous sur cet objet vidéoludique plutôt singulier. BioWare étant à la barre, impossible de ne pas remarquer l’attention portée à l’aspect narratif du jeu. Dès le début de la partie, une cinématique de fort belle qualité vient accueillir le joueur dans l’univers d’Anthem, avant de plonger celui-ci dans un tutoriel lui permettant de personnaliser son pilote et d’apprendre les commandes de base. Au niveau de la personnalisation, notons que le créateur de personnage se contente du strict minimum en vous proposant un set de visages prédéfinis après vous avoir demandé si le protagoniste serait un homme ou une femme. Toutefois, Anthem ne vous proposera aucun passage à la troisième personne sans votre javelin, et seul votre visage sera visible lors de quelques cinématiques. Nul besoin, donc, d’un créateur de personnage à la hauteur d’un Mass Effect ou d’un Dragon Age. L’outil est ici appréciable mais totalement annexe.
Au niveau des commandes, on apprécie dès le départ la très bonne prise en main offerte par le javelin du tutoriel (un modèle Commando, le plus équilibré). Le moindre détail semble avoir été travaillé pour fournir au joueur des sensations concrètes. Qu’il s’agisse des petits sons liés aux vérins de l’armure, des légères vibrations qui suivent certaines actions plus physiques que d’autres ou encore l’animation des mouvements, tout est d’une précision incroyable et rares sont les jeux actuels à pouvoir se vanter d’un tel travail effectué sur la prise en main du protagoniste. Et si ce point est notable dès la prise en main du Commando, il devient de plus en plus flagrant au fur et à mesure que l’on teste les autres javelins : chacun d’entre eux possède en effet ses propres spécificités sonores, vibratoires et motrices. Jouer avec un Tempête (l’équivalent du mage dans Anthem), par exemple, offre la sensation de planer et de glisser sur le champ de bataille, et la légèreté du javelin se ressent très fortement.
Au contraire, le très puissant Colosse (véritable char d’assaut monté sur deux jambes) renvoie une logique impression de lourdeur mais également de toute-puissance. Celui-ci ne se contente pas d’avoir une barre de bouclier en plus de la barre de vie, il possède un véritable bouclier qui représente la barre en question, renforçant cette sensation de résistance et de protection face à l’ennemi. Ses bruits de vérin sont amplifiés et s’entendent à chaque pas de course, appuyés par de légères vibrations à chaque impact (pour qui aura choisi la manette).
Quant à l’intercepteur, le « voleur/assassin » du monde d’Anthem, celui-ci se démarque également par sa légèreté mais également sa réactivité extrême, virevoltant entre les ennemis par le biais de pirouettes et d’attaques physiques rapides qui vous donneront l’impression de dominer le champ de bataille avec célérité. Pour résumer, impossible d’être de mauvaise foi : BioWare a réalisé un travail formidable qui profite grandement à l’immersion et au plaisir de jeu, surtout pour celles et ceux ayant choisi de jouer à la manette, Anthem étant été clairement pensé pour ce périphérique avant tout.
Bienvenue à Fort C̶é̶l̶e̶s̶t̶e̶ Tarsis
BioWare l’avait promis, Anthem ne se contenterait pas d’être un bête jeu de tir à la troisième personne à la sauce « jeu-service », et c’est par le biais de Fort Tarsis (une sorte de hub accessible uniquement en solo) que le studio d’Edmonton avait annoncé que l’histoire prendrait de l’épaisseur pour le joueur. A ce sujet, nous sommes un peu plus mitigés : oui, Fort Tarsis est un ajout appréciable pour l’histoire, mais certains éléments sont également frustrants pour qui sait apprécier la présence et l’écriture des personnages secondaires.
Car les PNJ d’Anthem, en effet, sont dotés d’une qualité d’écriture indéniable. Chacun des personnages croisés – à l’exception de deux ou trois d’entre eux – possède son caractère, ses aspirations, son histoire, ainsi que ses expressions faciales propres. On s’étonne même, au bout de plusieurs heures de jeu, de développer un attachement particulier pour certains PNJ qui sortent vite du lot. Parmi ceux-ci, on citera par exemple Owen, votre coéquipier désinvolte et insouciant, ou encore Brin, la sentinelle consciencieuse mais peu à l’aise avec les interactions sociales. Ajoutez à cela une VF d’excellente qualité, vous obtenez des personnages possédant une forte présence et auxquels il est facile de s’attacher. Hélas, tout ce travail ne sert qu’à masquer le fait que ces PNJ ne sont finalement que des donneurs de quêtes.
Si vous vous attendiez à un vrai mini-monde solo avec des personnages menant leur petite vie ou accessibles à toute heure pour une discussion à embranchements, vous allez être déçus. Et c’est en cela que Fort Tarsis peut s’avérer frustrant : la qualité d’écriture des PNJ et des interactions possibles est tellement qualitative qu’on se surprend à en vouloir plus, comme la possibilité de les voir accompagner le ou la protagoniste en mission à la place de joueurs humains. Certains personnages auraient d’ailleurs pu avoir leur place dans un Mass Effect (et on aurait apprécié une telle qualité d’écriture pour les coéquipiers d’Andromeda) ou dans un Dragon Age. Difficile, donc, de se contenter de les voir en mode statique dans Fort Tarsis et de devoir attendre le déroulé d’une quête pour en apprendre un peu plus sur eux via quelques rares discussions bonus.
Au niveau de l’environnement à proprement parler, Fort Tarsis est d’une grande beauté. Bourré de petits détails, notamment dans la partie commerçante, le lieu se démarque par une qualité graphique indéniable et une direction artistique intéressante. Mais malgré un premier aperçu flatteur, on remarque vite que Fort Tarsis manque de vie. Malgré quelques PNJ mollement en vadrouille à certains endroits du Fort, les trois quarts des personnages présents sont désespérément statiques. Loin des promesses d’un lieu renforçant l’immersion et le scénario via des relations humaines inoubliables, Fort Tarsis est au mieux un ajout appréciable pour éviter qu’Anthem ne se résume à de simples virées en javelins. Même si dans ce genre de jeu, la narration est souvent secondaire, on ne peut que regretter le manque d’exploitation du potentiel de Fort Tarsis qui aurait pu permettre à Anthem de se démarquer en imposant sa patte dans le milieu des jeux du même genre.
D’ailleurs, un coup d’œil à la carte du fort suffit à susciter des questions concernant la taille réelle de celui-ci. La carte, en effet, esquisse les contours de quartiers supplémentaires mais inaccessibles. De là à imaginer que Fort Tarsis aurait pu être plus grand que celui servi à la sortie du jeu, il n’y a qu’un pas… Mais peut-être n’est-ce là qu’une volonté des développeurs de montrer le potentiel du lieu et sa capacité à s’étendre au fil des mises à jour ? Malgré tout, difficile de ne pas rajouter ce doute à la liste des impressions d’un jeu sorti trop tôt.
Opération à monde ouvert
Mais Fort Tarsis ne saurait représenter la majeure partie de l’intérêt du jeu. Anthem, après tout, c’était la promesse d’un jeu de tir nerveux avec des exocombinaisons inspirées de l’armure d’Iron Man. A ce sujet, le constat est également mitigé. Mais ne dressons pas d’emblée un tableau pessimiste : les sensations de tir et la maniabilité des javelins sont très bonnes, et les régions de Bastion sont une merveille à explorer. On se surprend à prendre un malin plaisir à fouiner dans les moindres recoins de la carte du monde partie libre, cette fonctionnalité qui vous permet d’explorer les régions de bastion sans les contraintes des missions. Et ce goût pour l’exploration est régulièrement récompensé par la présence de coffres cachés ça et là sur un promontoire rocheux ou sous une cascade. Jouable uniquement en multijoueur (avec des inconnus ou des amis), le mode partie libre est assez intéressant et permet d’enchaîner plusieurs missions aléatoires sans les contraintes de l’écran de chargement – bien qu’il soit possible de pénétrer dans des donjons qui, eux, en imposeront un.
A côté du mode partie libre, il est possible d’enchaîner des contrats qui font office de missions secondaires. Ces contrats vous demanderont de remplir divers objectifs, allant du sauvetage de civils/sentinelles à la récupération de données, en passant par de la défense de zone. Les factions ennemies que vous aurez à affronter sont au nombre de quatre : les skorpions (des ennemis insectoïdes), le dominion (le régime fasciste qui fait office d’antagoniste principal), les Proscrits (des criminels en bandes organisées), et les Scars (des essaims de petits insectes qui se regroupent pour incarner des formes plus ou moins humanoïdes). Ces quatre types d’ennemis se révèlent plutôt divers dans leurs façons de combattre ainsi que dans leurs stratégies. Si pas moins de trois factions de Fort Tarsis seront vos distributeurs de contrat (freelancers, sentinelles, arcaniste), ne vous attendez pas pour autant à de grandes différences dans les objectifs proposés qui seront bien souvent les mêmes.
Enfin, le mode histoire constitue un élément appréciable, à défaut d’être une véritable colonne vertébrale sur laquelle le jeu aurait pu se reposer. Agrémenté de cinématiques de très bonne facture et de personnages aux animations épatantes de qualité (et qui creusent un véritable fossé avec Mass Effect Andromeda), ce mode propose un enchaînement de quêtes similaires aux contrats mais agrémentés de nombreux dialogues radio qui permettent au joueur de se sentir un minimum investi dans l’histoire. On apprécie aussi la possibilité de faire la connaissance des nombreux PNJ qui feront leur apparition à Fort Tarsis par le biais du scénario, et même si certains relèvent de l’anecdotique et pourront ennuyer les joueurs peu amateurs de narration, ces petites scénettes et autres dialogues apportent parfois un grain de folie à un jeu parfois trop sage qui échoue globalement à proposer une atmosphère narrative réellement prenante.
Matchmaking of fighters
Mais le diable se cache dans les détails. Et les détails – ou plus précisément les finitions, mis à part dans le soin apporté à la prise en main des javelins, ne sont pas le point fort d’Anthem. L’une des premières choses qui nous frappe lors de la toute première partie, c’est sans nul doute les menus. Organisés en panneaux dotés d’une arborescence indigeste, les menus d’Anthem perdent plus le joueur qu’ils ne l’aident. Mention spéciale aux menus et sous-menus parfois totalement inutiles comme ceux des messages privés qu’à aucun moment, le jeu vous prévient de l’existence. Ces messages écrits, censés épaissir un scénario qui n’exploite qu’une fraction du potentiel de BioWare, font preuve d’un manque d’intérêt navrant. A cela, rajoutez des tutoriels qui se contentent d’expliquer le minimum syndical (les combos, mécanisme central des combats, y sont expliqués à moitié), et vous obtenez deux parfaits exemples de menus à l’utilité douteuse qui, avec d’autres, encombrent un menu à l’organisation et à l’ergonomie peu inspirées.
De même, s’il est effectivement possible de jouer en solo en configurant sa partie en mode privé, n’espérez pas bénéficier d’avantages comme une fonction pause qui stopperait le jeu. Le jeu n’a pas du tout été pensé pour le solo, et au risque d’en décevoir certain.e.s, Anthem est bien un jeu en ligne pur jus. Toutefois, et en dépit des encouragements du jeu en faveur de parties en multijoueur (un pop-up vous demande confirmation si vous décidez de jouer tout seul), la campagne principale se révèle plus sympathique à suivre tout seul. Vous avez ainsi le temps d’écouter les dialogues entre les personnages et de découvrir les environnements ainsi que les petits éléments parfois cachés dans le décor, tels que les coffres ou encore les runes gravées sur les murs. Jouer la campagne en matchmaking avec des inconnus est la garantie de devoir rusher du point A au point B sans avoir le temps de comprendre ce qui se passe, les 3 autres comparses du moment n’en ayant souvent rien à cirer du scénario. A la rigueur, si vous avez des amis pas trop bavards, cela peut aussi être un bon compromis.
Au niveau de la customisation des javelins, on apprécie fortement la possibilité d’y appliquer des textures et des couleurs différentes. Les possibilités sont tellement grandes qu’on ne tombe que rarement sur un même type de javelin lors d’une mission avec des inconnus, renforçant ainsi l’appropriation de l’exocombinaison que l’on aura pris le temps de personnaliser. Cependant, les pièces alternatives ne sont pas légion : mis à part un set de pièces achetable par javelin et disponible de manière permanente, il n’y a qu’un seul autre set disponible (un par javelin, là aussi) mais qui dépend du cycle de la boutique qui se renouvelle tous les 3 ou 4 jours. Si le procédé est adapté dans un jeu comme Fortnite qui dispose d’un magasin débordant de skins à proposer à chaque mise à jour et qui mise sa logique économique sur la frustration des jeunes joueurs, Anthem se contente de copier le concept pour un public majoritairement adulte et sans essayer de proposer un contenu aussi conséquent, limitant les objets disponibles par cycle au nombre dérisoire de 6… Et si vous aviez raté le cycle précédent proposant un set de pièces qui vous intéressait par manque de finances (argent in-game ou réel), préparez-vous à attendre longtemps avant que celui-ci ou un autre ne réapparaisse.
Mais parlons du loot, censé être le principal élément motivant pour enchaîner les parties. Si les armes sont nombreuses, on ne retient finalement qu’un nombre limité de modèles réellement utiles, le reste pouvant être assimilé à du remplissage. Visuellement, là aussi, la folie n’est pas au rendez-vous, avec des designs d’armes finalement assez similaires (et partageant beaucoup de similarités troublantes avec certaines armes de Mass Effect Andromeda). Leur évolution, d’un rang de rareté à un autre, n’entraîne aucun réel changement d’apparence, et il faudra attendre les niveaux de rareté magistral et légendaire avant de voir des armes vaguement différentes (au niveau du skin uniquement). On aurait apprécié de voir des armes aux designs totalement différents à haut niveau.
Enfin, à la liste des problèmes de finitions, impossible de faire l’impasse sur l’absence de fiche de statistiques pour vos javelins… Si leurs équipements vous indiquent clairement les statistiques améliorées (armure, bouclier, dégâts…), il est étonnamment impossible de consulter un état des lieux de ces statistiques pour prendre connaissance de données basiques comme le nombre total de points d’armure de votre javelin. Simple oubli ou choix délibéré, cette absence de fiche récapitulative est d’autant plus étonnante que ce genre de menu est pourtant essentiel pour les joueurs.
Note : précisons que ma config a été vérifiée afin d’être certain que lesdits problèmes ne soient pas inhérents au matériel de test (mon processeur i5 2500K, notamment, qui n’est plus tout jeune). Il s’avère que ce n’est pas le cas. Dans un seul et même lieu (comme Fort Tarsis, ou lors d’une mission à environnement fixe telle qu’une forteresse), Anthem pouvait être parfaitement jouable à certains moments, mais atrocement saccadé à d’autres. Précisons aussi qu’après avoir testé en réglages « low », « medium », et « high », le résultat était strictement le même. Ce qui, ajouté aux multiples reports similaires consultables sur les forums d’EA, me conforte dans l’idée d’un grave problème intrinsèque au jeu (qui incorpore d’ailleurs une protection de chez Denuvo, de quoi soulever quelques interrogations).
Malgré ses défauts, Anthem a une approche intéressante du jeu-service ainsi qu’un fort potentiel. Les javelins sont dotés d’une maniabilité et d’une finition redoutables, et on perd rapidement toute notion du temps en enchaînant les missions à flinguer du Scar ou du proscrit malgré la répétitivité des objectifs. Hélas, les deux parties qui constituent le jeu – Fort Tarsis et les missions en extérieur – donnent l’impression de n’avoir été développées qu’à moitié… On regrette ainsi l’état de ce hub solo qui ne brille que par l’écriture de ses personnages, ainsi que la partie third-person shooter qui peine à cacher la pauvreté de son contenu une fois passée l’ivresse des fusillades. Anthem est pourtant un jeu que l’on aimerait aimer de tout notre être. Comme un amant fougueux et passionné mais dont les qualités s’arrêteraient hélas au seuil de la chambre à coucher, Anthem ne pèche pas par un contenu médiocre, mais par un manque de contenu et d’attention qui deviennent flagrants une fois l’adrénaline retombée.