Après cinq épisodes d’une saga tout en third-person shooter, la licence Gears s’essaie au jeu de stratégie/tactique. Les déçu.e.s des deux derniers jeux (Gears of War 4 et Gears 5) qui leur reprochaient un éloignement un peu trop accentué avec les racines de la série seront ravi.e.s d’apprendre que malgré un gameplay totalement différent, Gears Tactics est désormais l’héritier le plus proche de l’ambiance « gros bourrins et couleurs désaturées » des trois premiers Gears of War. Cependant, bien que Gears Tactics se présente comme un Gears 100% pur jus, difficile de ne pas le comparer avec l’une des plus grandes références du jeu de stratégie/tactique : XCOM.
• Développeurs / éditeur : The Coalition & Splash Damage / Xbox Game Studios
• Support de test : PC (Ryzen 5 2600X, GTX 1060 6G, 16Go RAM, SSD, Windows 10)
• Disponible sur : PC (Steam, application Xbox, location via Xbox Game Pass PC), Xbox One (achat, location via Xbox Game Pass)
• Version du jeu utilisée : PC (clé Steam fournie par l’éditeur, version day-one)
• Nos autres tests en lien avec la licence : Gears of War 4
Gabriel, tu brûles mon esprit
Gears Tactics se déroule durant la guerre contre les Locustes, un an après le jour de l’émergence qui a vu cet ennemi implacable surgir des profondeurs de la planète et s’attaquer aux plus gros bastions de l’Humanité. Assez rapidement, le jeu présente son protagoniste, Gabriel Diaz, un ancien Lieutenant-Colonel que les lecteurs du roman Gears of War: Bloodlines connaissent déjà. Après avoir fait ses armes durant les guerres pendulaires (celles qui opposaient les Hommes bien avant l’émergence des Locustes) et suite aux conséquences dramatiques de sa dernière mission, l’ami Gabe se rétrograde de lui-même et devient simple Sergent avant de rejoindre une unité de mécaniciens.
Cependant, Gabriel Diaz est un tacticien hors-pair. Et Richard Prescott, le président de la CGU, ne compte pas gâcher ce talent alors que son organisation est en pleine débâcle militaire. Lorsque l’ombre d’une nouvelle menace plane sur une situation déjà désespérée pour l’Humanité, Gabe (le diminutif de Gabriel) se retrouve alors à nouveau sur les champs de bataille pour faire face à un ennemi… pendant qu’un autre attend de se révéler. L’histoire de Gears Tactics nous place donc à nouveau dans la peau d’un Gears, Gabriel Diaz, dont le nom de famille ne vous aura pas échappé et pour cause : il s’agit également de celui porté par Kait Diaz, une des héroïnes de Gears of War 4 puis protagoniste de Gears 5. Nous n’en dirons pas plus à ce sujet pour vous garder la surprise, mais sachez que ce Gears Tactics n’est pas un simple spin-off mais s’inscrit pleinement dans la timeline de la licence. Celles et ceux qui auront précommandé le jeu auront d’ailleurs accès à Augustus Cole, le colosse plein de finesse présent dans l’escouade Delta des trois premiers Gears of War, en tant qu’unité jouable.
Ton amour étrangle ma vie
Jeu de stratégie/tactique, Gears Tactics s’éloigne donc intégralement du gameplay TPS (Third-Person Shooter, jeu de tir à la troisième personne) de ses aînés pour adopter un mode de jeu en tour par tour dans lequel les joueuses et les joueurs placent et déplacent leurs unités sur un champ de bataille avant de laisser l’ennemi en faire de même, les deux adversaires alternant ensuite les tours jusqu’à ce que l’un des deux camps l’emporte. Les unités, comme dans tout jeu du genre, possèdent un certain nombre de points qui détermine la quantité d’actions disponible durant le tour en cours. Parmi ces actions, on compte les déplacements, les tirs, les techniques spéciales ou encore les lancers de grenade.
Dans ses bases, Gears Tactics se présente donc comme un jeu de stratégie/tactique assez classique. Toutefois, The Coalition et Splash Damage ne se sont pas contentés de copier les recettes existantes. Dès le début du jeu, à travers son tutoriel, on apprend ainsi que l’usage des points d’action est totalement libre, a contrario d’un XCOM qui impose par défaut une fin de tour pour l’unité lorsque celle-ci tire avec son arme. Dans Gears Tactics, les développeurs semblent privilégier une certaine fluidité de jeu (plutôt bienvenue, avouons-le) et laissent aux joueurs la possibilité de commencer par un tir avant de se déplacer ou d’utiliser une technique spéciale. Une fluidité plutôt intelligente qui permet aux habitués des Gears traditionnels de profiter d’un jeu tactique sans se sentir enfermés dans un carcan trop rigide, tout en proposant une expérience intéressante aux habitués du genre.
Mais l’usage libre des points d’action ne saurait résumer à lui seul le champ des innovations apportées au genre par Gears Tactics. Les combats de boss, par exemple, apportent un véritable vent de fraîcheur avec des combats dantesques qui réussissent à rester dans les clous du gameplay là où XCOM 2 avait du mal à trouver le bon équilibre, notamment avec les boss totalement fumés de son extension Alien Hunters. Le système de classe des unités, également, est très varié. Bien plus varié que dans les XCOM de Firaxis, avec un arbre de compétences pour chaque classe qui propose chacun 4 branches de spécialisation dans lesquels vous ne pourrez dépenser qu’un nombre limité de points. Concrètement, il est donc possible d’investir à fond dans deux branches maximum, ou de vous éparpiller dans les quatre si vous y voyez quelques dynamiques intéressantes. A ce sujet, Gears Tactics met le paquet, voire un peu trop au risque de perdre les nouveaux et nouvelles venues qui pourront toutefois compter sur une délicate attention : la présence (bien que limitée) de jetons de réinitialisation permettant de remettre à zéro les attributions de points dans l’arbre de compétence d’une unité.
Additionné à d’autres bonnes idées comme des déplacements calculés en distance pure et non en nombre de cases, l’usage des PA non-utilisés pour ajouter des tirs en mode vigilance, ou encore les exécutions gore qui peuvent redonner des points d’actions au reste de l’escouade voire à l’unité qui organise la foire aux tripes, il ressort de ce Gears Tactics l’impression que les développeurs ont bossé leur copie avec sérieux en ayant parfaitement compris ce qu’attendaient les joueurs d’un jeu de ce genre. On y retrouve en effet tout ce qui a fait le succès des trois premiers Gears (ambiance sombre et violente, vocabulaire cru, exécutions gore…), mélangé avec le meilleur des jeux du genre et saupoudré d’une grosse pincée de bonnes idées pertinentes.
Et l’Enfer devient comme un espoir
Toutefois, les amateurs de jeux de stratégie/tactique à la XCOM remarqueront un grand absent : la gestion de base. Dans Gears Tactics, point de cela, et l’entre-deux missions se résumera à s’occuper des unités, qu’il s’agisse de leurs gains d’expérience, de leurs équipements ou encore de la personnalisation cosmétique. Au sujet des équipements, comme celui-ci n’est pas développé, créé, ni acheté via la base, celui-ci doit être récupéré sur le terrain. Défini en trois niveaux de rareté (rare, épique, légendaire), ce qui est basiquement du loot se récupère de trois manières : en accomplissant les missions, en réussissant des objectifs secondaires, ou en récupérant des coffres disséminés sur la carte – ce qui s’avère plus ou moins difficile en fonction de la mission. Vous pouvez aussi en récupérer en recrutant des unités, celles-ci amenant parfois avec elle du matériel de qualité. Il est ainsi possible d’équiper des pièces d’armes, des armures (casque, torse, jambes) mais pas de changer les armes en elles-mêmes qui sont propres à chaque classe. La classe « soutien » de Gabriel, par exemple, bénéficie du landzor-tronçonneuse, alors que la classe « avant-garde » de Sid (monsieur moustache) se voit attribuée le rétro-landzor à bayonette.
Niveau cosmétique, on est plutôt satisfait dès le départ par le choix proposé. Entre les barbes (accessibles aux hommes et aux femmes), les coupes de cheveux, les cicatrices, les tatouages, les éléments de visage inférieurs et supérieurs, les couvre-chefs, etc., les possibilités étourdissent durant les premières heures de jeu… mais déçoivent passé ce stade. Les visages, les yeux et la couleur de peau sont fixes, et les éléments qui se débloquent au fil du jeu se limitent principalement à de nouveaux tatouages, cicatrices et couleurs de cheveux. Si l’effort est clairement appréciable, on regrette un petit peu de se sentir vite limité à ce sujet au fil de la partie. Pour autant, il est difficile de sentir floués à ce sujet lorsque la customisation des compétences se veut aussi poussée (cf. partie précédente), ce qui demeure la priorité d’un tel jeu. Loin d’un simple gonflage artificiel de compétences disponibles pour chaque classe, on est ici face à des arbres très complets, cohérents, et véritablement jouissifs sur le champ de bataille. Traverser le champ de bataille bayonette au clair et embrocher un ennemi pour un seul point d’action, par exemple, devient encore plus satisfaisant lorsque ce coup offre un PA supplémentaire permettant de donner un dernier taquet au voisin en lui vidant une fin de chargeur dans la figure.
Car dans tes mains je meurs chaque soir
Devant autant de qualités, il est difficile de trouver quoi reprocher à ce Gears Tactics. On pourra malgré tout noter la présence de quelques bugs, rares mais parfois handicapants (la touche TAB qui permet de passer d’une unité à l’autre s’est retrouvée plusieurs fois inactive face à un boss, nous forçant à redémarrer le jeu), voire l’impossibilité de changer de difficulté en cours de partie, ce qui risque de poser problème à celles et ceux qui auraient mal jaugé leurs aptitudes avant de lancer une partie. Au chapitre des idées « ni bonnes ni mauvaises », on notera la présence d’un système de sauvegarde hybride, avec un système de signets similaire à celui de Fire Emblem Three Houses (qui permet de sauvegarder et quitter, mais pas de sauvegarder et continuer) et un système de points de ravitaillement qui instaure des points de récupération à certaines étapes-clés d’un affrontement si celui-ci part trop en cacahuète et que vous ne souhaitez pas tout recommencer à zéro. Aucun système de sauvegarde purement manuel disponible à chaque tour comme dans un XCOM, donc, ce qui force les joueurs et les joueuses à bien doser chacune de leurs décisions. L’idée est intéressante et encourage une forme de prise de décision plus sage, bien qu’elle bousculera un peu les habitudes de certains joueurs habitués à sauvegarder à chaque tour pour tester différentes approches avant de recharger leur dernière sauvegarde.
L’absence de gestion de base, si celle-ci permet de ne pas alourdir le jeu, a cependant un effet secondaire sur le rythme. Les pauses entre chaque mission deviennent vite assez courtes une fois que la gestion des équipements et des compétences est maîtrisée. On se retrouve donc parfois à ressentir une forme de répétitivité et à saturer à force d’enchaîner les missions trop rapidement. Le « one more fight » (encore un combat), ce penchant XCOM-esque du « one more turn » (encore un tour) des jeux 4X, est donc peu présent dans Gears Tactics qui vous forcera naturellement à faire quelques vraies pauses dans la vie réelle avant de reprendre le cours du jeu avec plus de plaisir. C’est dommage, car le convoi des personnages comprend un gigantesque véhicule de transport qui paraissait idéal pour de la gestion de base mobile, même allégée. Peut-être dans un hypothétique Gears Tactics 2 ?
Gears Tactics ne se contente pas de faire du Gears avec une couche de gameplay stratégique et tactique copiée sur les meilleurs avatars du genre. The Coalition et Splash Damage ont carrément eu l’audace de poser sur la table leur propre proposition tout en s’adressant à la fois aux néophytes et aux vétérans. Il en ressort un jeu qui fait à la fois honneur à sa propre licence, mais qui se paie également le luxe de donner quelques coups de coude à ses camarades en leur montrant ce qu’il est encore possible d’améliorer afin de tirer le genre vers le haut. Une belle performance.
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