Pokémon : Junichi Masuda revient sur la genèse des premières versions (interview)

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En marge de la sortie de Pokémon Let’s Go Pikachu et Evoli, Junichi Masuda est revenu sur la genèse des premiers titres de Game Freak, sur les problèmes rencontrés, l’esprit d’équipe dans le studio et l’essence de la licence.

Les premières versions Pokémon célèbrent leurs 20 ans aux Etats-Unis en ce 30 septembre et à quelques semaines de la sortie des titres Let’s Go Pikachu et Let’s Go Evoli, Junichi Masuda est revenu sur la genèse du titre, leurs objectifs initiaux et le travail conséquent réalisé sur les versions Switch. L’interview est menée par Franck Allegra du média américain Polygon et nous l’avons traduite dans ses grandes lignes. Nous y apprenons que le titre n’était pas promis à un avenir aussi radieux, que le projet a failli mourir en cours de développement pour des raisons techniques, les désaccords sur certaines mécaniques du prochain titre au sein de Game Freak, la nécessité de simplifier le titre sur Nintendo Switch.

Polygon : Vous travaillez sur Pokémon depuis la genèse de la licence, comment était-ce de bosser sur les premières versions ? Comment était-ce du côté de Game Freak à cette époque spéciale durant laquelle vous ne saviez pas encore si le jeu allait devenir un grand succès ?

Junichi Masuda, programmeur et compositeur sur Pokémon Rouge / Bleu / Vert et directeur de Pokémon Let’s Go :  Au tout début, nous n’étions encore qu’une petite société. Nous n’étions qu’une petite équipe et n’avions pas encore de succès dans nos mains. Nous savions que nous voulions faire des jeux auxquels nous – à Game Freak – voudrions jouer nous-même. Dans le même temps, nous avions cette obligation de fonctionner en tant que société, cette nécessité d’avoir une paie en retour et donc s’assurer que Pokémon marche très bien.

Le développement n’était pas facile et a pris à peu près six ans pour les versions Rouge et Vert (Bleu n’étant pas sorti à la base au Japon). Nous avons réussi à joindre les deux bouts en réalisant différents projets pour d’autres sociétés. Toute l’énergie qu’ont su mettre les membres de l’équipe ont conduit à son succès et à en faire des jeux si intéressants et amusants. Ce travail collectif fait partie de l’ADN de Game Freak. Pour Pokémon Let’s Go Pikachu et Let’s Go Evoli, nous sommes à peu près 100 pour la fin du développement. Néanmoins nous avons commencé avec ce groupe de personnes qui avaient une vision commune de ce que nous souhaitions faire et nous apportons des idées neuves pour en faire le meilleur jeu possible.

Qu’attendiez-vous de la sortie du jeu ? Vous vous disiez plus « Nous avons cet énorme succès dans les mains ! » ou « Nous sommes très passionnés par ce jeu et nous souhaitons juste le sortir. » ?

J.M : Au moment de la sortie, on réalisait que cela nous a pris six ans pour être en mesure de sortir le projet. Dans les dernières étapes de développement, nous commencions à être inquiet car nous le publions sur GameBoy. Or, la console commençait à être en déclin. On ne voyait pas masse de monde qui y jouait. Lorsque l’on parlait à des amis de l’industrie, ils émettaient des doutes sur le potentiel de ventes d’un nouveau titre sur GameBoy. C’était un peu l’ambiance de l’époque au Japon.

Nous nous attendions donc pas à ce que ce soit un succès international ou quoique ce soit. D’ailleurs à cette époque, il se disait que les RPG ne s’exporteraient pas très bien en dehors du Japon donc on ne pensait même pas le sortir en Occident. Nous pensions peut-être que s’il pouvait se vendre à hauteur d’un million d’unités, ce serait un rêve qui se réalise.

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Quels sont les meilleurs souvenirs de l’époque de la création des premiers jeux que vous pouvez partager ?

J.M : Je n’ai pas de plus joyeux souvenirs qu’un autre en particulier mais j’en ai un des plus mémorables qui me vient. A l’époque, nous développions le jeu sur des machines appelées Sun SPARCstation 1 (page wiki dispo) et elles crashaient pas mal. Au milieu du développement, peut-être la quatrième année, il y a eu vraiment un énorme crash et nous ne savions pas comment faire revenir la machine. Toutes les données y étaient, tous les Pokémon, le personnage principal et plein d’autres éléments. Et là, on se disait que l’on était fichu si on ne pouvait pas récupérer les données. Je me souviens avoir fait beaucoup de recherches. J’ai appelé la société pour qui je travaillais pour demander des conseils afin de récupérer les données. Et nous y sommes parvenus, ce fut tout de même un des moments les plus éprouvants du développement du jeu.

A quel moment avez-vous réalisé que votre jeu était un hit après l’avoir sorti ? Quand avez-vous eu conscience du phénomène, que le jeu était gigantesque ?

J.M : Le jour de la sortie de Pokémon Rouge et Vert, toute l’équipe de développement est allée dans des magasins pour voir comment le jeu se portait. Nous pourrions dire qu’il se vendait plutôt bien. A cette époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux et aucune façon pour recueillir directement le retour des joueurs. Nous n’avions pas d’infos et il s’est donc passé un moment avant que l’on sache comment cela se passait. Les premiers retours de Nintendo étaient bons en matière de ventes, puis la presse qui relatait son succès parmi les plus jeunes.

Au Japon, les jeux sont venus les premiers et sont devenus populaires principalement grâce au bouche à oreille. Ce n’était que plus tard que nous avons réalisé son succès avec la venue de la série animée, le jeu de cartes, le manga… Quand le jeu s’est exporté, là c’est devenu un grand succès.

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Pokémon est désormais un phénomène. Comment votre vie et celle de Game Freak a changé au fil des ans, passant de petit studio à l’un des plus grands franchisés du monde ?

J.M : On pouvait à peine s’appeler une société à l’époque. Nous étions davantage un club universitaire ou quelque chose du genre. On se rassemblait, on venait au boulot quand on voulait, on partait quand on voulait, certaines personnes dormaient car elles avaient travaillé si dur dans la nuit. Après le succès de Pokémon, nous avions besoin de plus de personnel pour créer les jeux, nous sommes devenus une entreprise à part entière. Des règles se sont mises en place, nous devions travailler avec d’autres entreprises et fonctionner comme une entreprise, c’était le plus grand changement.

C’est un challenge en soi car l’entreprise est devenue énorme aujourd’hui, il est difficile de revenir en arrière car beaucoup de personnes qui font partie de l’équipe ont grandi avec Pokémon. Ils ont une idée de ce que Pokémon est censé être, ils ont joué aux jeux et les ont apprécié. Prenons par exemple Pokémon Let’s Go Pikachu et Evoli, l’idée de se débarrasser des batailles de Pokémon a rencontré beaucoup de résistance au début. Néanmoins, à Game Freak, nous souhaitons être ouverts à de nouvelles choses et tenter d’exploiter les idées de chacun. C’est un grand défi et nous désirons ne rien prendre pour acquis.

Ce que je dis chaque fois au début d’un nouveau projet, ne faites pas de Pokémon à partir de Pokémon. Faites des Pokémon à partir de zéro. Que feriez-vous si ce n’était pas un jeu Pokémon ? Il faut garder cet état d’esprit et j’essaie de le maintenir dans l’équipe.

Pokémon Let’s Go se base sur la formule Rouge / Bleu / Jaune mais semble être une réinvention. Quels sont les changements ou évolutions majeurs qui vous surprennent le plus ?

J.M : Avec ce titre sur Nintendo Switch, on l’a imaginé depuis le début comme un jeu que la majorité jouera dans son salon. A partir de là, nous l’avons abordé avec une nouvelle approche. A quoi ressemblerait un Pokémon jouable dans le salon où les gens se rassemblent pour jouer sur un même système. Des mécaniques à deux joueurs où l’on partage les joycon. On a tenté de rendre le gameplay spécifique à la console.

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Qu’est-ce que cela fait de revenir sur le monde original et le design de Kanto, version Bleue et Rouge, de devoir le repenser ? Qu’est-ce que cela a engendré chez le staff qui était de nouveau là lorsque Rouge et Bleu sont sortis ?

J.M : C’était difficile évidemment pour les personnes d’origine, je veux dire les personnes présentes depuis longtemps ainsi que les nouveaux membres et jeunes employé qui ont peut-être joué aux jeux. Tout le monde avait une idée en tête de ce que devaient être les jeux originaux. Nous devions discuter de ce que nous garderions, ce que nous changerions sans détruire le ressenti et ce sentiment originel que les jeux nous ont donné. Par exemple, nous avions tous convenu que vous ne voudriez pas modifier la plupart des dialogues et des textes qui apparaissent dans le jeu. Par contre, il fallait mettre à jour le design du Pokédex pour qu’il soit plus utile. Certains choix demeuraient vraiment difficiles.

Certains vont jouer pour la première fois mais nous voulions garder la même structure globale, de sorte que les anciens joueurs puissent conseiller les nouveaux. Nous avions souhaité simplifier certaines parties pour rendre l’expérience plus compacte. Lorsque nous avions rejoué à Pokémon Jaune, nous avons réalisé que certaines parties étaient assez difficiles, il faut peut-être 40 heures pour terminer le jeu. Nous savions que nous devons simplifier le jeu pour un public plus moderne. Nous avons donc amélioré le rythme du jeu sans casser les sensations des jeux originaux.

Let’s Go Pikachu et Let’s Go Evoli demeurent un retour à Pokémon Jaune mais ils restent très différents. Comment garder ces sensations de base de Pokémon sans conserver la même chose encore et encore ?

J.M : Je pense que le cœur des jeux Pokémon a toujours été les créatures en elle-même. Nous tentons d’implémenter toujours de nouvelles mécaniques, des nouvelles régions et des nouveautés dans chaque jeu mais nous gardons une attention particulière à chaque monstre. Nous les considérons vraiment comme des créatures uniques avec leurs propres caractéristiques et nous les faisons entrer dans le monde à chaque fois avec une certaine cohérence dans le contexte du monde dans lequel ils se trouvent.

Mewtwo est un Pokémon mythique, Mew un légendaire et il n’aurait pas été logique que tout le monde ait un Mew. Même des Pokémon plus communs comme Aspicot, il serait étrange qu’il ait une capacité ultra-puissante. Il est nécessaire que cela reste crédible, en corrélation avec le monde dans lequel ils vivent. En gardant cela, les joueurs garderont l’envie de les attraper. C’est un peu l’essence de ce Pokémon et nous y consacrons beaucoup de travail.

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