[Preview] Disco Elysium : un succès annoncé

Disco Elysium Preview

Disco Elysium, le RPG plus que prometteur du studio ZA/UM, nous a ouvert ses premières heures de jeu le temps d’une preview.

The furies are at home in the mirror

J’ai le cerveau qui tambourine les parois de mon crâne avec la ferveur d’une machine à laver mal calée. Ouvrir les yeux, même dans la pénombre, me fait un mal de chien alors que j’essaie instinctivement de m’agripper à la première chose qui passe à ma portée. Qu’est-ce que c’est ? Une bouteille ? Un relent d’acide remonte jusqu’à ma glotte à la simple vue de l’étiquette. Va rouler ailleurs si j’y suis, j’aimerais d’abord réussir à me relever pour mieux comprendre ce qui se passe… 

Après plusieurs efforts sisyphéens, je réussis enfin à me mettre à genoux et j’ose jeter un œil aux alentours en commençant par ma propre personne. Je suis quasiment à poil, et l’horreur de la vue me ferait presque remonter le peu de tripes qu’il me reste à vomir. Je détourne les yeux de ce festival de plis et de bourrelets teintés d’ecchymoses et je parcours la pièce de mes yeux gonflés par la fatigue – ou par l’alcool, à en juger par cette odeur prenante qui plane et qui commence à envahir mes narines. Ce qui m’entoure est un véritable dépotoir, et la couverture crasseuse parsemée de bouts de je-ne-sais-quoi séchés gisant à mes pieds me pousse à me relever d’un bond, comme si une étreinte invisible et bienveillante – si une telle chose existe  – venait de me soulever d’un coup pour m’en éloigner.

De ma hauteur nouvelle, le constat m’apparaît encore plus clairement, bien que les points blancs qui dansent la valse devant mes yeux atténuent quelque peu la netteté du spectacle… la vue s’ajoutant désormais à l’odeur, je ne peux m’empêcher de penser que cette pièce ferait fuir le Diable lui-même. Mais au-delà de ça, une question commence à se frayer un chemin parmi les brumes éthyliques qui enlacent mon esprit, accompagnée par un sentiment de peur qui m’envoie un direct à l’estomac : où suis-je ? La peur se transforme brusquement en terreur alors qu’une seconde question cogne à ma porte sans me laisser le temps de répondre à la précédente : QUI suis-je ?

Ma tête tourne, et poussé par un instinct dont j’ignore l’origine, je me tourne vers ma gauche pour m’enfoncer dans la pièce annexe où un bruit d’eau griffe mes tympans comme s’il s’agissait des putains de chutes du Niagara. Je ferme rapidement le robinet et mon visage passe devant un miroir à moitié brisé et embué par la vapeur ambiante. De nouveau sous l’impulsion d’un instinct étranger, je m’apprête à essuyer la buée qui recouvre l’objet en espérant que ce qui s’y reflétera me rafraichira la mémoire… mais alors que mon bras s’apprête à bouger, je suis saisi d’une terreur indescriptible ; et je reste comme un con, immobile, les yeux écarquillés, alors qu’une voix froide et sifflante se glisse dans mes oreilles :

« Très très mauvaise idée… je te déconseille de faire ça.

_ Hein ? Mais qui…?

_ Je suis ton cerveau reptilien, crétin. Heureusement que je suis là pour t’empêcher de faire des conneries. Ne te regarde pas dans ce miroir, c’est mieux pour toi…

_ Déjà que tu ne m’as pas écouté quand je t’ai déconseillé de te réveiller, ajouta une autre voix, plus douce mais également hésitante. Il faut toujours écouter ton système limbique, c’est ce qui te différencie de ces primates qui t’attendent, là dehors. »

Un flot de questions se déverse soudainement sur moi comme un torrent de merde, mais un réflexe réussit toutefois à en émerger tel un éclair de lucidité se frayant un chemin à travers toute cette cacophonie ; et sans prêter attention aux bruyantes contestations qui hurlent dans ma tête et résonnent comme un foutu tocsin, j’essuie le miroir d’un geste rapide. Et alors que mon regard plonge dans l’abîme, l’abîme me regarde à son tour…

Even the clearest water, if deep enough can drown

Le premier mot qui vient à l’esprit lorsqu’il s’agit de décrire Disco Elysium est sans conteste le mot « immersif ». Dès les premières minutes, nous nous retrouvons drapés dans des ténèbres où se déroulent un puissant monologue entre le protagoniste et la personnification de plusieurs aspects de sa psychologie. Cette lutte intérieure pour rejeter les conseils délétères du cerveau reptilien et du système limbique (pour ne citer qu’eux) permet au joueur d’être en toute première place et de poser son siège directement dans l’esprit du héros. Un parti pris audacieux et pertinent, qui se poursuit alors que le protagoniste réussit à se réveiller au sein d’une chambre d’hôtel miteuse et totalement ravagée. A poil, gisant près de cadavres de bouteilles d’alcool alors que ses affaires sont éparpillées à travers toute la pièce, le héros tranche nettement avec l’immense majorité des introductions qu’il nous est donné de voir au sein d’un RPG.

Ici, aucun angle négatif n’est épargné au personnage, et rien de positif n’est non plus mis en place pour faire contrepoids ou pour flatter l’égo du joueur. Disco Elysium donne le ton dès les premières minutes : dans cette histoire, vous incarnez un alcoolique amnésique en plein lendemain de cuite et qui n’en est pas à son premier rodéo. Ce parti pris permet au jeu de nous immerger le plus profondément possible dans un univers digne d’un roman noir, où l’interrupteur de la bienséance semble avoir été éteint depuis longtemps.

Malgré tout, Disco Elysium tient à faire comprendre que son monde offre une grande liberté d’action. Dès le départ, vous devrez choisir l’alignement de votre personnage en répartissant des points parmi quatre axes de personnalités : intellect, psyché, physique, et motricité. Le jeu vous proposera d’ailleurs des profils déjà prêts, mais vous pourrez évidemment choisir d’y aller manuellement pour créer le profil qui vous plaira (cf. images ci-dessous).

Pour cette preview, par exemple, nous avons choisi de privilégier l’intelligence (qui regroupe diverses formes de connaissances) ainsi que la psyché (qui regroupe ici divers traits de l’intelligence émotionnelle). Privilégier deux catégories sur les quatre (le maximum d’un attribut est réglé sur 6) a logiquement un impact négatif sur les deux autres, et notre personnage intellectuel et sensible se voit alors doté d’une très faible constitution (gérée par la catégorie Physique), ainsi que de réflexes et de sens diminués (regroupés dans la catégorie Motricité).

There is no truce with the furies

Mais tout au long de la petite dizaine d’heure permise par cette version preview, nous avons pu constater que le protagoniste ne se limitait pas à ses caractéristiques brutes. Au fur et à mesure de l’histoire, il est ainsi possible d’orienter le personnage vers d’autres types d’inclinaison. Une fois ses premières bribes de mémoire retrouvées (si vous accepter de les retrouver, car ceci est également un choix à part entière), à vous de décider si vous souhaiter diriger le héros vers le sentier de la pénitence ou si vous voulez l’abandonner à ses démons intérieurs. Cette évolution, qui comporte tout un panel de nuances, se décide via les très nombreux choix de dialogues qui vous seront offerts.

Et du dialogue, vous allez en manger. Disco Elysium n’est pas un RPG classique dans le sens que des combats vont parsemer les dialogues et les choix. Ici, point de combat, tout se décide textuellement via des dialogues et par le biais de l’exploration. Anglophobes ou anglophones débutants, soyez d’ailleurs prévenus : Dico Elysium est majoritairement textuel, et une partie du vocabulaire rencontré ne fait pas dans l’académique. En l’absence d’une traduction dans la langue de Booba et Kaaris, il vous faudra donc être armé d’un solide niveau en anglais pour réussir à suivre les subtilités de l’histoire mais aussi pour apprécier celles de l’écriture du récit. Toutefois, si vous estimez avoir un niveau d’anglais correct (et que vous êtes patients) avoir sous la main un traducteur pour les mots spécifiques pourra sûrement suffire à compenser certains pans du vocabulaire utilisé.

Mais Disco Elysium ne se contente pas de faire du texte, il le fait extrêmement bien. Le jeu frôle le virtuose dans son écriture-même, et réussit ainsi à faire évoluer le joueur dans des dialogues et des descriptions tour à tour drôles, mélancoliques, ou encore psychologiquement profonds pour ne citer que ces aspects exploités au cours de la narration. Pour résumer, Disco Elysium prend la forme d’un RPG qui se dévore comme un roman noir dont vous êtes le héros.

Pour décrire notre ressenti en des termes appropriés à l’univers du jeu, Disco Elysium fait l’effet d’un coup de genou dans les valseuses. Sans exagérer d’un iota, le RPG/Point’n’Click du studio AZ/UM a de grandes chances de faire cet effet à tout joueur qui recherche une expérience émotionnelle forte dans un jeu vidéo. En ce qui nous concerne, en tout cas, cette preview de Disco Elysium est la promesse d’un grand jeu qui a peu de chances de décevoir son public lorsque viendra le moment de sa sortie officielle le 15 octobre 2019.

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Co-fondateur de Try aGame, pinailleur en chef, et amateur de belles histoires. Vous pouvez me suivre sur Twitter et Mastodon
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