[Critique] Ma Vie en Prison : un vibrant hommage aux luttes pour la démocratie en Corée du Sud

ma vie en prison Kana, Kim Hong-mo

Ma vie en prison est le récit autobiographique d’un auteur qui nous raconte sa participation aux luttes étudiantes de 1997 en Corée du Sud à travers le récit romancé de sa mise en détention par le pouvoir autoritaire de l’époque.

• Type d’ouvrage : récit autobiographique romancé (223 pages)
• Thèmes principaux abordés : lutte pour la démocratie, milieu carcéral, Corée du Sud
• Public(s) : adolescents, adultes
• Maison d’édition : Kana (collection « Made in »)
• Auteurs : Kim Hong-mo
• Mentions utiles : ouvrage mis à disposition par les Éditions Kana pour cet article (non-sponsorisé)
Nombre de tome(s) : 1 (one-shot)

Un terreau d’Histoire

Au début de sa vie étudiante qu’une enfance en milieu pauvre n’a pas rendu aisément accessible, l’auteur Kim Hong-mo était un étudiant sans histoire qui a peu à peu développé une conscience politique en apprenant la vérité derrière un massacre perpétré en 1980 à l’encontre d’étudiants et de syndicalistes qui manifestaient contre la corruption. Officiellement attribué à des éléments venus de Corée du Nord, ce massacre fut en réalité commis par le pouvoir sud-coréen de l’époque… et dont les deux principaux responsables deviendront par la suite présidents du pays. Un peu moins de 20 ans plus tard, vers la seconde moitié des années 90, ces révélations font l’effet d’une bombe en Corée du Sud, et la lutte pour une démocratie nettoyée de toute corruption reprend de plus belle… à l’instar de la répression, qui s’accompagne de violences d’État et d’injustices systémiques. C’est à cette époque que le jeune Kim Hong-mo rejoint le mouvement, l’amenant sur un sentier politique qui le conduit par la suite à être emprisonné par le pouvoir en place.

Ma vie en prison est une manière pour l’auteur de rendre hommage à toutes ces personnes qui ont risqué leur vie et leurs libertés – et à celles qui les ont perdues – pour dénoncer un régime pseudo-démocratique qui détournait allègrement le contenu des caisses de l’Etat au mépris de conséquences parfois mortelles, à l’instar de l’effondrement du grand pont Seongsu pour ne citer que cet exemple. Mais au lieu de raconter son propre récit à travers lui-même, Kim Hong-mo préfère le choix du romancé en créant un personnage qui accompagne le lecteur à sa place. Une manière pour lui, de son aveu, de ne pas s’attribuer le récit en hommage à toutes les personnes qui sont mortes durant les répressions de l’époque. Mais ce choix du romancé est également un moyen pour l’auteur de mettre de côté des souvenirs peu agréables qu’il garde de son incarcération afin de se concentrer sur les prisonniers qui ont positivement marqué sa vie.

Si ce choix d’une scène tronquée qui ne garde que les meilleurs moments de son passage en prison peuvent faire douter du message de l’auteur sur le milieu carcéral, il s’agit ici d’un aspect de l’ouvrage qu’il faut relativiser. Kim Hong-mo l’avoue lui-même en épilogue, il regrette que ce choix motivé par sa volonté de ne pas ressasser de mauvais souvenirs puisse faire penser que les prisons sud-coréennes de l’époque étaient vivables. Il faut d’ailleurs noter que les conditions de vie en prison ne sont pas l’objectif principal de cet ouvrage qui a essentiellement pour but de mettre en lumière les origines peu connues de la jeune démocratie sud-coréenne. On y apprend notamment à quel point la corruption était forte en 1980, au point de laisser s’effondrer des bâtiments publics par manque de financement… ces mêmes financements qui étaient détournés par le pouvoir politique de l’époque, qui sera par la suite surnommé « le gouvernement catastrophe ».

ma vie en prison Kana, Kim Hong-moPlus qu’un hommage, un rappel

Mais Ma vie en prison ne se contente pas de dresser le portrait sombre d’un système rongé par les intérêts de quelques-uns au détriment du plus grand nombre, il dresse également le portrait de ces étudiants engagés qui étaient commodément étiquetés par le pouvoir comme « rouges » – un qualificatif proche de « terroriste » à l’époque où la guerre de Corée était encore un souvenir très proche. Loin d’être de simples rouages d’un mouvement uniforme noyauté par un parti politique précis – malgré une dominante idéologique forcément ancrée à gauche, ces étudiants sont ici présentés comme ce qu’ils étaient vraiment : des jeunes, d’horizons très larges, qui avaient pour principale aspiration l’avènement d’une justice qui ne distinguerait plus le puissant du commun.

L’autre point fort de Ma vie en prison, c’est cette manière avec laquelle le récit résonne avec notre époque. Tout en gardant évidement le sens de la mesure ainsi qu’un esprit critique, il est néanmoins assez frappant de constater que certains évènements de cette fin de vingtième siècle sud-coréen peuvent être observés à nouveau de nos jours dans plusieurs pays. Là réside l’autre utilité du livre de Kim Hong-mo : le rappel. Le rappel que les outils de répression utilisés par les puissants pour défendre leurs intérêts ne sont pas des reliques du passé cantonnés aux livres d’histoire. Ma vie en prison nous rappelle que ces choses sont intemporelles et qu’il ne faut pas considérer les droits conquis comme des acquis.

C’est un récit très poignant et très touchant que nous offre ici Kim Hong-mo qui, en plus de rendre hommage à ses camarades de lutte et à ses meilleurs compagnons de détention, nous prouve par l’exemple que la résistance est possible même dans un environnement aussi fermé et strict qu’une prison. Plus qu’un hommage et une piqûre de rappel, donc, Ma vie en prison est aussi un appel à l’espoir. Un cri qui se réverbère sur les parois des années et qui nous parvient afin de nous rappeler que la liberté est toujours possible – et que celle-ci a un prix.

Ma vie en prison est une excellente surprise pour qui penserait que les éditeurs de mangas comme Kana n’auraient que des récits de fictions à nous proposer. Avec cet ouvrage, bien que celui-ci ne saurait évidemment pas remplacer un livre d’histoire (et ce n’est pas son but), on ressort de notre lecture avec le sentiment profond d’avoir appris et échangé avec l’auteur au fond d’un troquet entre deux boissons. La candeur des dessins et la clarté du texte de Kim Hong-mo rend son propos facile à suivre et à apprécier. Que vous soyez engagé en politique en faveur de la démocratie ou simplement fan de Corée du Sud et que vous souhaitez apprendre les bases sur des pans peu évoqués de son histoire contemporaine, Ma vie en prison est un ouvrage édifiant que nous recommandons sans réserve.

 

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Co-fondateur de Try aGame, pinailleur en chef, et amateur de belles histoires. Vous pouvez me suivre sur Twitter et Mastodon
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