Florian Sirieix est un auteur de jeux de société qui a partagé bon nombre de pensées à l’aube de cette année 2025.
Le nom de Florian Sirieix doit vous évoquer bon nombre de jeux de société. L’auteur montpelliérain est l’auteur des jeux de société What’s Missing ?, Montmartre, After Us, Treetopia, et co-auteur des excellents Imaginarium, Cowboy Bebop : Space Serenade ainsi que de l’incontournable La Planche aux Pirates édité chez The Flying Games, destiné à un public bien plus jeune. Il se peut même que vous l’ayez croisé en festival ou que vous ayez vu sa tête dans un récent reportage de France Télévisions.
De même, si vous le suivez sur Facebook, vous devez avoir l’habitude de lire ses propos qui se multiplient ces derniers jours. Il s’interroge ainsi sur les tendances de l’industrie du jeu de société, évoque le syndrome de la feuille blanche, de son inquiétude autour de l’IA vis-à-vis de ses camarades chargés de l’illustration des jeux, et d’autres sujets bien propres aux auteurs de jeux.
Nous avons sélectionné quelques extraits de ses discours sur le réseaux social sur lequel il se montre le plus bavard.
Le rapport de l’auteur avec l’IA est ainsi évoqué. IA pour Intelligence Artificielle, cette dernière commence, ou continue, à occuper un peu trop d’espace dans la création de jeux de certains éditeurs, notamment pour l’illustration. Bien qu’inquiet pour les artistes qui dessinent les jeux, puisque cet IA empiète sur la place fondamentale qu’ils/elles doivent occuper, Florian Sirieix est certain que l’IA n’est pas une menace pour les auteurs. Un jeu créé par l’IA ne pourrait ainsi jamais imaginer un jeu de A à Z, avec les sensations que celui-ci doit procurer pour fonctionner.
Florian Sirieix : Créer de l’art, c’est vouloir transmettre des émotions, des sensations, à travers un média. Nous, c’est le jeu.
Et c’est pour cela que l’IA ne me fait pas peur, pour l’instant. Elle me fait peur pour mes nombreuses amies illustratrices et illustrateurs, mais pas pour mes collègues auteurs et autrices. L’IA est capable de compiler plein d’idées et d’en faire un mash-up de règles. Mais la force de notre travail, ce sont les sensations.
Il évoque ainsi certaines particularités communes à de nombreux jeux, et qui occupent une place centrale dans l’esprit d’un auteur, ou d’un joueur lorsqu’il y joue.
FS : Est-ce qu’on ressent plus de pression quand il n’y a que 3 cases sur le plateau, ou plutôt 4 ? Est-ce que le joueur aura assez de choix avec 3 actions disponibles à chaque tour ? Est-ce qu’il n’en aura pas trop s’il y a 6 actions ? Le scoring du jeu est-il équilibré ? Quand on gagne, on a le ressenti d’avoir bien joué ?
Pourquoi Skyjo marche aussi bien ? Parce que si je gagne, j’ai vraiment trop bien joué. Si je perds, le jeu a vraiment été méchant avec moi. Attendez, on refait une partie je vous montre.
Il n’est pas rare de créer un jeu qui mécaniquement fonctionne, mais dont le ressenti ne correspond pas du tout à ce que l’on avait imaginé. À nous de travailler pour arriver à transformer l’expérience des joueurs en quelque chose de génial.
Présent dans tous les domaines créatifs, le syndrome de l’imposteur est également au cœur de ses interrogations.
FS : Il n’y a pas d’études pour devenir auteur ou autrice de jeu. On le devient parce qu’on le veut, parce qu’on en a envie, besoin souvent. Et on se heurte aux écueils des créatifs.
Le pire c’est le syndrome de l’imposteur. C’est douter de ses compétences, de ses réalisations ou de sa légitimité :
« Je ne mérite pas ma place. »
« J’ai juste eu de la chance. »
« Les autres sont bien meilleurs que moi. »
« Un jour, on va découvrir que je ne suis pas à la hauteur. »
Voilà. Un bon résumé de pensées qui me traversent l’esprit quotidiennement.
Enfin, les difficultés personnelles dans ce métier, c’est parfois un combat contre soi-même. Ainsi apparaît le problème de la page blanche. Florian Sirieix l’évoque sans détour.
FS : Quand on est auteur pro, il faut créer. Et c’est un problème pour moi.
Que mon besoin de créer soit parfois ressenti comme un devoir de créer. Pas pour qu’il y a plus de jeux et de nouveautés, mais parce qu’il faut bien que je gagne de l’argent dans les prochaines années… Est-ce que je ne participe pas à ce qu’il y ait trop de jeux ? Est-ce que tous mes jeux méritent d’exister ?
Et donc il m’arrive d’avoir des périodes « creuses » entre plusieurs projets, où je « devrais » créer, mais… c’est la page blanche. Et elle me terrifie, cette page blanche. Si je ne crée pas aujourd’hui, pourrais-je continuer mon activité dans 3 ans ? Aucune idée. Il me reste 25 ans avant la retraite, et je ne sais pas si mon activité est assez stable pour tenir encore 3 ans.
Florian Sirieix se confie occasionnellement sur sa page Facebook, et récemment il parlait aussi des tendances actuelles de l’industrie. Ce n’est plus un secret pour personne, les jeux Expert existent encore mais les éditeurs se montrent bien plus frileux à l’idée d’investir dans les projets des auteurs. Alors, il se confiait :
FS : Pour revenir sur le marché en 2024, la tendance est aux jeux à moins de 30€. Les ventes des jeux initié et expert sont en baisse. Pas parce qu’il y a moins de joueurs, mais parce qu’il y a d’abord une inflation et une crise économique qui font que les dépenses ont baissé de manière générale, peut-être aussi parce que les nouveaux joueurs, ceux qui arrivent depuis le covid et la découverte du Skyjo, ne sont pas (encore ?) des gros joueurs. Les boutiques ludiques ont, il me semble, beaucoup plus de facilité à vendre 3 jeux à 20 € qu’un jeu à 60 €, le stock se renouvelle plus vite, et il y a moins de risque de perte en cas d’invendus. Les distributeurs et les éditeurs sont frileux. Les auteurs doivent s’adapter.
J’ai un gros jeu, un 4X initié post-apocalyptique, un peu narratif et un peu politique, qui est chez un éditeur depuis plus d’un an. J’attends le retour, mais je n’ai pas beaucoup d’espoir.
Du coup il faut créer du familial, mais il faut innover, créer de nouvelles sensations, de nouvelles mécaniques. Pas facile, la concurrence est rude.
Et si vous continuez plus loin dans les publications de sa page d’auteur, vous retrouverez les difficultés des auteurs à en faire un métier rentable, et de s’assurer une sécurité financière solide pour en vivre.
Les auteurs de jeux de société sont de plus en plus nombreux à s’exprimer sur les réseaux sociaux, et je trouve cela aussi important qu’enrichissant. Derrière les jeux de société que nous apprécions, on retrouve souvent des hommes et des femmes qui cravachent pour vivre de leur passion, surtout chez les auteurs, illustrateurs, traducteurs, mais aussi les relecteurs et correcteurs qui ne sont pas encore tous et toutes reconnus pour leur travail acharné.
Que l’on aime ou non le résultat de leur travail, soyons conscients des difficultés du métier d’auteur de jeux.
source : Facebook
source image à la Une : reportage TV de France TV Languedoc Roussillon