Notre avis sur « La Porte », l’adaptation en manga du roman de N. Sōseki

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Roman de Natsume Sōseki datant du début du 20ème siècle, « La Porte » s’offre aujourd’hui une adaptation en manga aux Editions Philippe Picquier.

Natsume Sōseki est un écrivain japonais de l’ère Meiji (1968 – 1912), période qui correspond à la modernisation du pays. Artiste prolifique, Sōseki – de son vrai nom Natsume Kinnosuke – a écrit de nombreuses œuvres tout au long de sa vie, dont une trilogie écrite au début du XXème siècle : Sanchirō, Sorekara, et Mon. Ce dernier connait par la suite une traduction et une diffusion en France sous le nom de « La Porte » dans le courant des années 90 aux Editions Philippe Picquier.

Ce roman est aujourd’hui adapté en manga de type one-shot (ndlr : une histoire qui commence et se termine en un seul et même tome) par la même maison d’édition qui nous en a proposé la lecture afin d’en rédiger une critique.

Dessin épuré, ambiance paisible, récit d’une vie

Artistiquement parlant, les courbes délicates et les décors sans fioritures du mangaka Inoue Daisuke nous renvoient aux plus belles heures du shōjo vintage, voire de certains shōnen des années 80/90. Le choix de ce type de dessin n’est sûrement pas anodin, tant celui-ci transpose à merveille l’ambiance paisible de l’histoire contée par Natsume Sōseki. Cela nous permet ainsi de suivre l’histoire du héros dans des conditions optimales.

La Porte raconte le quotidien d’un jeune couple, Sōsuke et O-Yone, dont la vie poursuit son cours, sans surprise ni complication. Fonctionnaire à Tokyo, Sōsuke ne prétend à aucun rêve ni ambition, mais possède un secret que son entourage se garde bien d’évoquer. Ce secret enfoui sous des airs de traumatisme refait toutefois surface à un moment donné, et Sōsuke devra alors faire un choix entre affronter celui-ci ou continuer à le fuir.

Curiosité, concept insaisissable, indécision

la porte sosuke daisuke philippe picquierSi le descriptif officiel se veut aguicheur (« Un grand roman de Sōseki magistralement adapté en manga, dans le décor attachant du Japon d’il y a cent ans »), la réalité est cependant toute autre. Si le format BD inspiré du manga pour moderniser la forme d’une œuvre classique est une idée intéressante en soi, celle-ci n’en est pas moins risquée pour la narration. Un support dessiné est souvent voué à prendre plus de page qu’un roman pour raconter la même chose, et le choix d’un format one-shot plutôt que d’une série en plusieurs volumes est un pari risqué que l’on voit arriver de loin dès la prise en main de ce livre. Comment une œuvre aussi culte (d’après le descriptif) pourrait-il en effet être intégralement porté en manga d’environ 220 pages sans coupes au niveau de l’intrigue ou des détails ?

Les craintes se confirment hélas lors de la lecture, l’histoire déroulant ses scènes assez rapidement et les enchaînant à un rythme bien trop soutenu pour une ambiance qui se voulait un appel à l’apaisement et à la contemplation. On suit donc l’histoire des personnages, leur lente agonie au sein d’une existence bercée par l’ennui, les craintes, et la dépression, sans réellement ressentir ce poids du quotidien qui est le leur. Chaque thématique est traitée avec légèreté, l’auteur subissant le nombre limité de pages.

Pour autant, La Porte n’est pas un mauvais livre. En le regardant sous un autre angle, l’œuvre peut être considérée comme une introduction à l’univers de Sōseki, comme une version light d’un roman originellement réservé à un cercle de littéraires restreint et qui chercherait à toucher d’autres lecteurs moins habitués du genre mais potentiellement intéressés. Pour ceux-ci, cette adaptation en manga peut constituer une porte d’entrée vers un univers inconnu, une incitation à découvrir le roman a posteriori afin d’approfondir la lecture des thématiques abordées par l’auteur.

Et c’est pourquoi La Porte est l’une de ces œuvres qui divisent les opinions : selon l’angle choisi, selon l’ouverture d’esprit présente derrière l’œil qui le juge, cet ouvrage dessiné sera soit un simple manga à l’histoire décevante et à la fin en suspens, soit une incitation à la découverte d’un auteur très peu connu dans l’hexagone. Les habitués de mangas de type « tranche de vie » y trouveront sans doute leur compte, surtout si l’idée de poursuivre avec le roman afin de compléter l’expérience les séduit, mais les autres qui espèrent y voir une œuvre complète risquent fort la déception, voire la frustration, à l’issue d’un final très conceptuel et dont la forme s’éloigne d’une fin proposée par un schéma narratif traditionnel.

Il est décidément difficile d’avoir un avis tranché sur La Porte. Sans avoir lu l’œuvre originale dont ce manga est tiré, la première réaction d’un habitué des mangas « classique » est d’être déçu par le manque de consistance de la narration, la rapidité avec laquelle l’histoire est racontée, et le caractère abrupte de la fin. Cependant, à bien y regarder, La Porte est loin de faire partie de ces mangas ratés et sans intérêt. L’ambiance tirée du roman de Sōseki n’est pas sans charme, et le trait de Daisuke l’illustre à la perfection. Si en tant qu’œuvre seule, ce manga ne présente pas un intérêt certain, il en est tout autre si on le considère comme une introduction aux romans de l’auteur original. En résumé, La Porte est à conseiller si le Japon traditionnel et la littérature classique font partie de vos centres d’intérêt, mais à éviter si vous êtes en quête d’un manga plus traditionnel avec une histoire ne nécessitant pas le recours à un autre support pour être pleinement appréciée.

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Co-fondateur de Try aGame, pinailleur en chef, et amateur de belles histoires. Vous pouvez me suivre sur Twitter et Mastodon
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