En éditant Chainsaw Man en France, Kazé manga nous propose de découvrir une œuvre qui se démarque dans le paysage des shōnen habituels.
• Public conseillé : post-ados / adultes(violence graphique)
• Maison d’édition : Kazé Manga
• Auteurs : Tatsuki Fujimoto
• Mentions utiles : ouvrages mis à disposition par Kazé pour cet article (non-sponsorisé)
• Lien vers nos articles sur cette série : tomes 1 à 3, tomes 4 à 6, tomes 7 à 9, tomes 10 et 11
Sacre à la tronçonneuse
Son père s’est suicidé alors qu’il était enfant, il a été forcé de reprendre ses dettes auprès des yakuzas du coin, il a même vendu un rein et un de ses testicules, son repas standard est une tranche de pain de mie, il est atteint d’une maladie cardiaque héréditaire… Pour faire simple : le pauvre Denji a une vie de merde. Sans but et sans famille – mais pas sans rêve, son contrat avec le démon Pochita lui permet de continuer à s’accrocher et à survivre. Le mignon démon-tronçonneuse qu’il a sauvé quelques années plus tôt en lui donnant son sang, en effet, lui permet d’effectuer quelques jobs ingrats allant du coupage de bois à la traque de démons mineurs dans le but naïf de pouvoir un jour rembourser la dette son défunt paternel.
Mais un jour, comme les emmerdes en attirent souvent d’autres, Denji se fait trahir par les yakuzas qui ont eux-mêmes pactisé avec un démon qui leur demande le sacrifice du jeune homme et de son compagnon d’infortune. Les deux camarades finissent découpés en morceaux et jetés dans une benne à ordure, mais Pochita utilise ses dernières forces pour posséder et faire renaître son ami, remplaçant dans la foulée son cœur malade et lui conférant la capacité de se transformer en un puissant hybride mi-humain mi-démon lorsque celui-ci tire sur le câble de démarrage qui sort désormais de sa poitrine. Une renaissance fortuite qui permet à Denji de régler ses comptes avec tout ce beau monde en faisant pleuvoir le sang et la tripaille, avant d’être recueilli par un groupe de chasseurs de démons (nommés « devil hunters » en VF) dirigé par la très mystérieuse Makima…
Professeur Chensaw
Dès le départ, avec une situation initiale pareille, on se demande bien comment Chainsaw Man a pu naître au sein du Weekly Shōnen Jump (WSJ). Alternant entre une origin story plus glauque et sombre que la moyenne, des combats qui virent systématiquement à la foire aux tripes, ou encore des scènes matures traitées avec plus de sérieux que d’habitude, le dernier manga de Tatsuki Fujimoto (Fire Punch) dépote dans le paysage des shōnen de son magazine (le WSJ publie entre autres One Piece, Black Clover ou encore Dr Stone, ndlr). Et si on retrouve en Denji l’archétype du héros un peu simplet et mû par des désirs simples, Tatsuki Fujimoto ne se contente pas d’un traitement de surface : Denji est certes un peu concon, mais au lieu d’en rire, on ressent de l’empathie pour le jeune garçon qui n’a jamais eu la chance d’aller à l’école, de se faire des amis, de se développer au sein d’un groupe social, et qui n’a pour ainsi dire jamais eu l’occasion de grandir et d’expérimenter ce qui fait un être humain.
Dans Chainsaw Man, on est ainsi face à une possibilité de double lecture : les plus jeunes (mais pas trop non plus, c’est un manga très sanglant) pourront se contenter de suivre Denji et de rigoler face à ses quêtes primaires (palper des seins, embrasser une fille, etc.) quand les plus âgés suivront avec intérêt l’histoire de ce garçon qui essaie instinctivement de rattraper toutes ses années d’enfance et d’adolescence perdues sur une période très courte. Derrière ses faux-airs de héros de shōnen obsédé par la nourriture et l’érotisme se cache en réalité un personnage dramatique – voire-même philosophique lorsque celui-ci oppose les notions de désir et d’ambition face au vide que l’on peut ressentir quand on réussit finalement à les atteindre. Son love interest, également, est loin des clichés du genre basés sur les triangles amoureux ou les jeux du chat et de la souris. La femme que courtise Denji, en effet, manie la relation toxique comme une arme redoutable ; et c’est avec une grande maîtrise de ce genre de manipulation qu’elle exerce un puissant contrôle sur le protagoniste dont l’extrême naïveté fait de celui-ci la proie idéale.
Powerceval et Karadenji
Malgré l’atmosphère sombre des premiers chapitres, Chainsaw Man a conscience de son statut de shōnen et l’auteur réussit parfaitement à équilibrer la noirceur de son univers avec des touches d’humour qui donnent du corps aux personnages. Denji, en effet, est un véritable générateur à situations idiotes, ce qui ne s’arrange d’ailleurs pas avec l’arrivée du personnage de Power. Démon ayant pris possession d’une jeune femme, Power est l’archétype-même du démon : mythomane, vantarde, fourbe, manipulatrice… et totalement barge ! Ce qui fait rapidement des étincelles avec Denji, et leur dynamique comique fait un peu penser à celle de Perceval et Karadoc (Kaamelott) qui se donnent régulièrement la réplique pour générer des situations et des dialogues farfelus. Ces deux idiots de service, placés sous le commandement d’Aki, un personnage sérieux et raisonnable qu’on pourrait assimiler à Arthur pour rester dans la comparaison avec Kaamelott, permettent ainsi régulièrement à Chainsaw Man de conserver un bon équilibre dans sa narration en évitant que la violence ne l’emporte sur le reste.
Mais le talent de Tatsuki Fujimoto brille également sur un autre point : la composition. Le mangaka use sans retenue de gros plans, de poses dynamiques ou encore d’onomatopées brutalistes afin de marquer certaines scènes du sceau de la fascination. Certaines double-pages vont jusqu’à nous faire penser à de véritables tableaux de par la puissance, le symbolisme ou le dynamisme qu’elles dégagent. De même, on notera la différence entre le simplisme volontaire du trait en période de calme et la profusion de détails qui interviennent lorsque vient le moment du combat ou d’une attaque précise. Une dualité graphique qui sert la modulation de l’intensité de la narration et de la mise en scène, et qu’on retrouve par exemple dans le travail de Kousuke Kurose et Kento Sakaeda pour les deux séries actuelles de Goblin Slayer. Ajoutez à cela une histoire qui n’hésite pas à sacrifier certains de ses personnages les plus importants ni à en pousser certains à vous décevoir, et vous obtenez la recette de Chainsaw Man, un manga singulier mais terriblement accrocheur.
Chainsaw Man est l’une des pépites de 2019/2020. Violent, rugueux, mystérieux, artistique et terriblement drôle par moments, le manga de Tatsuki Fujimoto est à recommander à tous les fans de shōnen qui voudraient se faire la dent sur quelque chose d’un peu différent des canons habituels du Weekly Shonen Jump. On notera d’ailleurs que la localisation française par Kazé, malgré la présence de rares anglicismes pas franchement obligatoires, est d’excellente qualité avec un registre et un vocabulaire parfaitement adaptés à l’œuvre et qui permettent une lecture très fluide de l’histoire. En bref, et en ce qui nous concerne, Chainsaw Man est un énorme coup de cœur que nous vous conseillons sans retenue.
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