[Bar à Jeux] Zhanguo The First Empire

Avec Zhanguo, Sorry We Are French nous replonge dans la Chine du III^e siècle avant J.-C.

Version fournie par l’éditeur.

Planète Sorry We Are French

La version rééditée de Zhanguo est publiée par SWAF, qui fait partie de la maison Larousse et Gigamic. Comme nous le rappelions dans notre résumé du Festival de Vichy, l’éditeur parisien a été actif ces derniers mois. Une bonne actu autour de Gosu X, d’IKI avec l’extension Akebono et Sur les traces de Darwin, un jeu familial qui connaît un franc succès. Autant vous le dire, Zhanguo est plus complexe que le très bon Galileo Project, même un poil plus qu’IKI, qui donnait matière à réfléchir longuement à ses actions. C’est d’ailleurs ce qu’on retiendra de ce Zhanguo, toutes vos actions et vos placements seront d’une importance capitale en vue de maximiser toutes les actions dont nous disposerons.

Mais revenons à la fiche technique du jeu. Celui-ci est une réédition et son game design a été élaboré par Marco Canetta et Stefania Niccolini. Le premier s’est illustré dernièrement avec The Specialists (coautorat). Ce n’est pas la première fois que les deux collaborent puisqu’ils ont déjà œuvré sur Railroad Revolution et Pirates Under Fire.

Pour moderniser le jeu de 2014, SWAF a fait appel à deux illustrateurs, leur artiste attitré, David Sitbon, et Ulric Maes, qui bosse déjà sur leur prochain projet Mind Map. Son expérience parle pour lui, et vous pouvez vous y intéresser en explorant son site personnel à cette adresse.

Zhanguo, entre thématique et mécaniques

Zhanguo nous plonge dans l’histoire ancienne de la Chine. On accompagne donc l’Empereur dans ses projets d’unification et de construction, notamment la Grande Muraille, qui sera bien matérialisée dans le jeu réédité par Sorry We Are French. La thématique habille correctement le jeu, même si on a parfois tendance à l’oublier tant on se concentre à l’élaboration d’un puissant moteur à actions. L’éditeur souhaite tout de même mettre en avant tout le travail qui a été réalisé sur la réédition pour soigner son habillage et la thématisation de chaque action. Je vous invite donc à vous diriger sur le site officiel de SWAF en suivant ce lien.

On se retrouve alors avec des mécaniques de majorité (pour des bonus), d’objectifs (gain de points), de placement, et de cartes avec effets et combos, donc d’un moteur. La profondeur des mécaniques est telle, qu’elle demande une planification rigoureuse, et chacune de vos décisions pourrait avoir un impact majeur sur le résultat de la partie. Il n’est pas question de jouer au hasard et « de voir ce que ça donne », il faut réellement réfléchir à l’avance aux cartes que vous placez, où vous les placez, quels combos seront réalisables… mais on en reparlera en temps voulu. S’il est recommandé aux joueuses et joueurs de 14 ans et plus, c’est qu’il nécessite un gros investissement pour en maîtriser toutes les particularités et en exploiter les différentes voies stratégiques.

D’ailleurs, ces diverses mécaniques s’embrayent ingénieusement entre elles, et, pour le faire comprendre aux joueurs autour de la table, ça prendra bien au minimum une demi-heure d’explication de règles. La mise en place peut se montrer bien plus rapide, environ 10 à 15 minutes. Chaque joueur dispose du même plateau personnel, seule la couleur choisie est différente. Le jeu vous propose tout de même de partir avec un petit bonus en début de partie, premier choix majeur à faire entre deux bonus représentés par des tuiles.

Le plateau principal de Zhanguo affiche déjà tous les enjeux majeurs. La piste de score surplombe une série de Murailles à construire, elles permettront de s’accaparer des multiplicateurs de points qui vous feront scorer plus ou moins selon votre « jeu », c’est-à-dire vos placements et vos actions effectuées. Sur la gauche du plateau, au Mausolée, on retrouve un peu le même système avec des objectifs qui rapportent des points (et sensiblement davantage à celui qui s’y place le premier, lorsque les conditions sont réunies).

Ce sont autant d’éléments à prendre en compte dès le début de partie afin d’établir une stratégie, car cela dicte aux joueurs les différentes façons d’aborder la partie. Il sera ainsi plus judicieux de se positionner sur une portion de la carte plutôt qu’une autre, ou de placer des cartes d’une couleur précise, ou de réaliser certaines constructions. Et tout cela a un coût qui vous fera vite comprendre une chose. Il faut mettre de l’ordre dans vos idées, et surtout garder en tête son plan de jeu. Honnêtement, Zhanguo demande une énorme dose de concentration en continu. Les possibilités d’action sont multiples à chaque tour et, en vous dispersant, vous pouvez manquer de quelques tours pour réaliser tout ce que vous souhaitez. Sans aucun doute, Zhanguo est le jeu le plus exigeant de Sorry We Are French.

Un moteur à actions

Pour apprivoiser Zhanguo, il faut comprendre comment alimenter son cœur. Et ça passe donc par l’entretien de votre moteur qui vous permettra d’enchaîner des actions. Pour assimiler la façon de faire circuler cette effusion d’actions, il faut revenir à l’anatomie du jeu et son déroulement.

Au début de votre tour de jeu, on pioche des cartes puis on les joue. Soit on les utilise pour effectuer une des six actions Cour disponibles, soit on les place dans une des régions sur notre plateau personnel (action Unification). Lorsque l’on se dirige vers cette seconde option, on prépare dès lors nos actions futures, on vise à multiplier notre nombre d’actions lors des prochains tours. Vous l’aurez compris, on élabore notre moteur.

Comment ça marche ? À partir d’un déclencheur représenté par l’icône en haut à gauche de la carte, vous serez en mesure d’activer l’action qui, quant à elle, est symbolisée en haut à droite de la même carte. Ce déclencheur renvoie à l’une des six actions possibles. Si dans la première phase de votre tour, vous choisissez d’en réaliser une, par exemple le déplacement du bateau, vous pourrez alors déclencher toutes vos cartes placées dans votre moteur, qui possèdent ce même symbole. Ce qui peut renforcer sérieusement votre action. Il existe 5 régions, 3 emplacements de carte par région.

Potentiellement, ce sont 15 actions supplémentaires qu’il sera possible de faire avec une seule carte jouée. Soyons honnêtes, ce ne seront jamais 15 effets que vous déclencherez. La logique voudra tout de même que vous répartissiez les 6 différents déclencheurs dans ces 15 symboles, pas forcément de manière équitable, certes. Mais il est déjà arrivé d’activer 4 ou 5 déclencheurs à la fois, ce qui n’est pas du tout négligeable quand le combo s’inscrit dans une stratégie bien précise.

Il existe tout de même des contraintes. Certains effets ont un coût. Par exemple, ajouter des Ouvriers fait grandir l’agitation de la population dans une région précise. Et si le marqueur d’agitation se situe à son seuil maximal, il est impossible d’activer les déclencheurs, mais aussi de réaliser certaines actions concernant ladite région. Il faut donc penser à réduire l’agitation soit par des déclencheurs, soit en remportant des bonus de majorité, soit en engageant un Gouverneur qui remettra la jauge à zéro.

On remarquera d’ailleurs, et on vous l’expliquera plus tard, que le placement de nos cartes sur notre plateau personnel cache une double, voire une triple planification : sur le court terme avec un gain de jetons visant à remporter la majorité sur un des trois projets ; sur le court et le moyen terme avec cette élaboration du moteur à actions ; enfin on peut même rajouter que cela camoufle une planification sur le long terme, puisque l’on vise les objectifs de fin de partie.

Zhanguo et la force du nombre

Zhenguo exige une planification sur le long terme, mais il demande également de programmer sur le court terme. Un mix qui fonctionne merveilleusement bien grâce à cette piste de majorité qui apporte de la tension autour de la table.

Cette mécanique de majorité est matérialisée sur la gauche du plateau (tableau Unification), mais renvoie aussi aux cartes que l’on joue chaque tour. Ce tableau Unification représente les trois grands chantiers de l’Empire : la mise en place d’une monnaie unique (symbole des pièces sur fond noir), une écriture commune (des parchemins sur fond blanc), et des lois équitables (un symbole sur fond vert). Au terme de chaque manche, le joueur qui remporte la majorité, c’est-à-dire qu’il possède le plus de jetons de la couleur indiquée, gagne en prime un ample bonus (mais il faudra se délester des jetons).

Autant vous dire que ces très gros bonus seront convoités avec hargne. C’est un souci permanent dans notre esprit, et c’est aussi pour ça qu’elle cache une lutte acharnée entre les joueurs. D’ailleurs, on félicite les designers pour l’encadrement de ce combat. Il faut avoir une majorité et cela repose sur un total de 9 jetons (quand on joue à 2 joueurs) + le grand jeton Unification (valeur de 2) par secteur de majorité. Dans cette logique, posséder 6 jetons d’un même type suffit à garantir le bonus de fin de manche.

Et comment obtient-on les bonus ? Principalement de deux façons. En plaçant nos cartes sur notre plateau personnel (action Unification). Comme Zhanguo repose sur une iconographie claire, vous comprendrez, à la vue de votre plateau, qu’en plaçant une carte représentant la monnaie unique (carte blanche), vous gagnerez un jeton du même symbole (le blanc donc) si c’est la première carte que vous placez dans une région de la Chine. Si jamais votre carte représente le deuxième placement dans une même région de votre plateau personnel, vous gagnez deux jetons du symbole indiqué sur la carte jouée.

Mais cette mécanique de collecte a également été encadrée. Lorsque vous placez cette deuxième carte dans une région, vous augmentez d’un grade le niveau d’agitation de ladite région. Allons plus loin, quand vous placez votre troisième et ultime carte (la limite est de 3 cartes par région), vous gagnez donc 3 jetons de la « ressource » associée à la carte, et vous augmentez de 2 sur la piste d’agitation.

C’est donc l’heure de vous confier une chose importante. Dans Zhanguo, cette gestion du mécontentement est vraiment importante, car elle peut vous priver d’actions et de combos. Ce marqueur d’agitation se manifeste par une jauge numérotée, de 0 à 3. Et si vous atteignez le seuil maximal, il sera alors impossible d’activer les effets des cartes placées dans la région « mécontente ». Ce qui peut s’avérer frustrant, sachant que cette mécanique de combos, qui est le cœur du jeu, détermine votre moteur à actions. Et si on le rappelle, c’est que les mécaniques se renvoient souvent la balle dans la tête des joueurs lors d’une partie. Plus on assimile le jeu et ses particularités, plus on réalise sa cohérence, et à quel point les mécaniques s’emboîtent parfaitement entre elles. Il ne faut rien négliger, aucune des six actions, car chacune sera utile à un moment de la partie et permettra de faire décoller votre stratégie.

La gestion des officiers, le second cœur du jeu

On ne pouvait clore cette présentation de Zhanguo sans parler des Officiels, qui sont les acteurs de l’ombre de vos projets. Chacun a un rôle à jouer sur vos terres chinoises, sur votre plateau personnel. Il en existe trois. L’Architecte permet de construire des Palais ; le Général permet de calmer les troupes et d’engager des renforts ; l’Alchimiste permet de naviguer sereinement. Les trois réunis, ils pourraient bien offrir une paix durable que l’on ne refusera pas. Bref, présentons-les en détail : leur rôle et leur utilisation dans le titre réédité par SWAF.

Parmi les 6 actions Cour disponibles, les six nécessitent l’utilisation directe ou indirecte des Officiels. Il en existe trois : Alchimiste, Architecte et Général ; leur bonne gestion sera indispensable. Comment en obtient-on ? Par l’action Recruter, par des effets de cartes, des bonus sur le tableau Unification ou des bonus après le placement d’un Gouverneur. Que ces bonus soient permis de multiples façons montre bien que cela reste un grand enjeu dans une partie de Zhanguo. D’ailleurs, les bonus de placement sur le plateau principal ne sont permis qu’au premier qui s’y positionne, encore un lieu où l’on assiste à une belle lutte entre les joueurs.

La deuxième action, du moins la deuxième affichée sur l’Aide de jeu, est celle de déplacer votre bateau de 3 cases. Lorsque votre navire atteint un certain seuil, il sera possible de placer directement une carte Alchimiste (couleur bleue) n’importe où sur votre plateau personnel… à condition que l’officiel Alchimiste s’y trouve déjà.

La troisième action permet de dépenser (et donc de sacrifier) les trois Officiels afin de réduire au maximum la piste d’agitation de la région, sur laquelle ils sont réunis. Elle vous autorise ensuite à placer un Gouverneur sur le plateau principal, puis à acquérir le bonus indiqué sur la tuile Gouverneur (si possible).

La quatrième action implique seulement le Général. Elle permet d’engager des Ouvriers, à condition qu’un Général se trouve dans la région où l’on veut les placer. Ces derniers permettront, par la suite, de construire des Palais et des Murailles.

D’ailleurs, la cinquième action nécessite donc de dépenser 2 Ouvriers dans une région et un autre dans une région différente afin de construire un Palais (par conséquent, un Général doit être passé au préalable pour les faire venir, sauf si un effet de carte présent dans votre moteur de jeu permet d’en engager). Cette action donnera automatiquement 6 points + des points bonus selon la tuile Palais présente dans la région où vous construisez votre Palais. Ce n’est pas tout puisque l’on obtiendra aussi un grand jeton Unification (utile pour la majorité d’un des trois projets).

Enfin, la sixième action permet de dépenser jusqu’à 3 Ouvriers (dans 3 régions différentes de votre plateau personnel) pour construire une Muraille vous rapportant une tuile Muraille (maximise vos déclencheurs) et des points pour la fin de partie.

Tout ça pour dire que cette gestion des Ouvriers se montre comme le second cœur du jeu. Elle permet de se positionner un peu partout et donc de scorer un maximum dans tous les secteurs du jeu. On vit en quelque sorte une course avec les autres joueurs pour savoir qui accapare tel bonus. Mais on surveille également les régions afin de s’approprier les points des objectifs du Mausolée et de la Grande Muraille avant les autres dans le but de scorer un maximum de points. On garde donc cette impression agréable d’être dans une bataille permanente dans toutes les régions de la Chine contre ses adversaires.

Mais tout n’est pas si facile puisque cela demande une rigueur et un plan de jeu. Il n’est pas question de se positionner facilement ici ou là. Il faut d’abord se construire son moteur de jeu, être inspiré en remportant certains bonus de majorité. Mais aussi déplacer et gérer ses Officiels afin d’établir des Palais dans les régions les plus convoitées (qui rapportent le plus de points et les meilleurs bonus. Il était alors surprenant que le jeu puisse aussi se diriger vers de l’opportunisme pur et dur en défaveur d’un opportunisme planifié. J’évoque ici un (seul à ma connaissance) des bonus du tableau Unification qui permet de se positionner sur un objectif du Mausolée sans en remplir les conditions, simplement en remportant une majorité.

Récapitulons : Zhanguo m’a plu un peu, beaucoup ou à la folie ?
(ou pas du tout…)

Zhanguo fait partie de mes jeux indispensables de cette année 2023. Exigeant du début à la fin, captivant dans l’élaboration et l’activation de son moteur de jeu, il sait tenir en haleine toute une table… de joueurs expérimentés et prêts à s’y investir pleinement. Attention tout de même aux sautes de concentration qui peuvent faire perdre le fil de notre stratégie. Grandes réflexions et downtime à prévoir. Hormis cela, c’est presque un sans-faute pour cette réédition de Sorry We Are French.

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