[Critique] March Comes In Like A Lion : l’ode à la vie de Chica Umino (tomes 12 à 14)

March comes in like a lion tomes 12 13 14

En atteignant le tome 14, dernier ouvrage en date à être publié en France au moment de cet article, nous arrivons à la fin de notre série de critiques au sujet de March Comes In Like A Lion.

12, 13 et 14 : trois chiffres qui marquent l’arrêt de notre série de critiques portant sur l’œuvre majeure de Chica Umino. A raison d’un tome par an, en effet, March Comes In Like A Lion ne reviendra pas de sitôt dans nos colonnes, et c’est au moins avec autant d’émotion que celle ressentie durant la lecture de ces 14 tomes que nous entamons cette dernière partie de notre longue critique.

• Type d’ouvrage : manga de type « tranche de vie »
• Thèmes principaux abordés : shōgi, vicissitudes de la vie, famille, sujets de société
• Public(s) : adolescents, adultes
• Maison d’édition : Kana (collection Big Kana)
• Auteurs : Chica Umino (traduction française par Misato Raillard)
• Mentions utiles : ouvrages mis à disposition par les Éditions Kana pour cette série d’articles (non-sponsorisés)
Liens vers chaque article de cette série de critiques : partie 1 (tomes 1 à 5), partie 2 (tomes 6 à 8), partie 3 (tomes 9 à 11), partie 4 (tomes 12 à 14)

« Le temps est comme un fleuve que formeraient les événements »

Nous avions précédemment quitté March Comes In Like A Lion avec un tome 11 fort en émotions et centré sur le lourd passé familial des sœurs Kawamoto. Cette sordide histoire de famille avait connu sa conclusion dans un océan de larmes mais avait aussi permis aux deux sœurs les plus âgées de tirer un trait – enfin – sur ce membre de leur famille dont l’ombre planait comme une chape de plomb au-dessus de leur vie quotidienne. Malgré cela, la blessure n’est pas totalement refermée, et bien que l’arc en question soit terminé, nous retrouverons des traces de ces séquelles de manière diffuse au fil des 3 tomes que nous couvrons dans cet article. De plus, maintenant que Rei a pris conscience de la souffrance de l’aînée Akari, celui-ci s’est mis en tête de lui trouver un compagnon de confiance. Ainsi démarre ce qui n’est pas vraiment un arc, mais plutôt un nouveau fil rouge qui se déroule à proximité de celui du développement personnel du jeune homme.

Étonnamment, d’ailleurs, il n’y a pas vraiment de gros arc scénaristique net au fil de ces 3 tomes. Le récit de Chica Umino se fait ici plus fluide, moins compartimenté, comme si plusieurs petits ruisseaux venaient de se rejoindre pour former un fleuve. Le développement de plusieurs personnages principaux s’imbriquent les uns dans les autres, et les rencontres qui se produisent forment de nouvelles histoires, de nouvelles situations. Malgré tout, quelques histoires annexes – principalement centrées autour de joueurs de shōgi – continuent d’agrémenter les intrigues principales, et c’est avec plaisir que l’on découvre le développement de personnages secondaires déjà rencontrés brièvement auparavant. C’est ainsi que Chica Umino nous propose de développer deux personnages à la psychologie très singulière : le Kiryû (1er titre au-dessus du 9ème dan, ndlr) Raidô Fujimoto, et le 7ème dan Izaya Namerikawa.

« L’aigle vole seul; ce sont les corbeaux […] qui vont en groupe.»

Le premier de ces deux larrons hauts en couleurs, Raidô, porte sur ses robustes épaules le thème de la crise de la quarantaine/cinquantaine et les conséquences qui en découlent sur une vie de famille. Stéréotype de l’homme viril, doté d’un fort tempérament, Raidô est un homme qui ne cesse de voir sa vie et sa manière de jouer au shōgi à travers le prisme de la voie du guerrier. Mais Raidô est également un homme de famille qui n’a pas hésité à laisser de côté sa femme et ses filles pour s’amouracher d’une jeune serveuse de bar – sans se rendre compte que celle-ci n’en avait qu’après son argent. Ce qui est intéressant, ici, c’est le parallèle dressé avec la situation vécue par la famille Kawamoto. A la seule différence que la famille Fujimoto est constituée de profils bien différents, avec notamment une cheffe de famille solide comme le diamant qui a fait le choix d’accepter et d’encaisser la trahison de son mari tout en gardant la face et en maintenant la cohésion familiale à bout de bras.

Alors que Raidô est vu comme un homme sûr de lui qui sait ce qu’il veut, le contraste apporté par sa femme au fil de l’histoire nous éclaire la situation sous un autre angle en mettant en lumière la lâcheté d’un homme qui, bien qu’il possède un bon fond en creusant un peu, a cédé à une crise existentielle puérile et était prêt à sacrifier femme et enfants sur l’autel de son égo. La conclusion de cette courte histoire est par ailleurs douce-amère pour les Kawamoto qui y assistent, car même si celle-ci leur permet de relativiser leur tragique vie de famille avec celle d’une autre, le simple fait de voir la situation s’arranger grâce à la froide pugnacité de Mme Fujimoto s’infiltre dans la brèche du doute.

Et la question « qu’est-ce qu’on aurait vraiment pu faire d’autre ? » demeure sans réponse pour les deux sœurs aînées qui continueront à se demander si une autre issue était possible pour elles… sans prendre en compte, hélas, que Raidô – bien qu’ayant agi comme un salopard égoïste – n’a pas non plus le niveau d’inconscience et d’irrécupérabilité de leur propre père. Il s’agit là des rares intrigues de Chica Umino qui ne se terminent pas avec une conclusion totalement positive mais sur un appel à la réflexion, à l’image de la relation entre Rei et sa sœur de famille adoptive. Et le message, à l’instar de celui concernant Takagi (l’élève harceleuse, souvenez-vous) pourrait être résumé ainsi : « les relations humaines sont bien trop complexes pour être réduites à une simple dualité qui opposerait la gentillesse et la méchanceté ». La complexité de l’humain et des relations humaines, un thème récurrent pour Chica Umino.

L’histoire d’Izaya Namerikawa, quant à elle, vient apporter des réflexions plus larges sur le sens de la vie avec un mélange toujours aussi bien dosé d’humour et d’émotions. A la fois effrayant, drôle et touchant, Izaya est un joueur de shōgi au physique largement inspiré par celui de la légende urbaine connue sous le nom de Slender Man. Grand dadais taillé comme une branche d’arbre dont le corps est surmonté d’un visage émacié, Izaya Namerikawa est totalement dans l’archétype du croque-mort dépeint dans l’imagination populaire. A cela s’ajoute le fait qu’il est toujours vêtu d’un costume noir, qu’il est l’un des enfants d’une entreprise familiale de pompes funèbres, et qu’il est doté d’un langage corporel plus que dérangeant. Izaya est volontairement caricatural, et sa nature-même sert le besoin d’un ressort comique pour détendre l’atmosphère entre deux situations sérieuses.

Malgré tout, Chica Umino ne déroge pas à la règle qu’elle s’est elle-même fixée depuis le début de March Comes In Like A Lion, et celle-ci confère à Izaya une personnalité riche et attachante. Si sa manière déroutante de fixer ses adversaires provoque régulièrement des situations hilarantes quand ceux-ci perdent toute leur composition, cette manie d’Izaya est justifiée un peu plus tard par un profond amour de celui-ci pour l’humain. Incapable de déclencher la moindre flamme de passion en lui depuis son plus jeune âge, Izaya compense en observant avec attention les adversaires qu’il juge intéressants, ce qui influence son jeu basé sur la provocation et les tactiques de prolongation de parties. Plus que la victoire, c’est le fait de titiller son adversaire et de susciter chez lui un vaste panel d’émotions et de passion qui anime Izaya. Le passage où celui-ci aide l’entreprise familiale permet d’ailleurs de conclure sur un personnage d’apparence anodin mais finalement très intéressant. Un personnage maladroit qui se pense vide d’émotions mais qui, en réalité, déborde de curiosité et de compassion pour son prochain.

« Because you are here and only that, everything in life calls out »

Le tome 13, quant à lui, remet en avant un des personnages les plus importants de la série : Nikaidô. Petit dernier d’une riche famille, atteint d’une maladie incurable qui lui draine ses forces de façon régulière, joueur de shōgi qui voit en ce jeu un moyen de devenir quelqu’un malgré sa maladie, rival autoproclamé de Rei (dont il est le premier véritable ami), Nikaidô obtient enfin son heure de gloire au cours d’un affrontement dantesque avec un adversaire redoutable qui n’est personne d’autre que le Meijin Sôya. Une mise en lumière parfaitement méritée pour un personnage qui a toujours subi de plein fouet la fragilité de son corps au fil de sa progression dans le milieu du shōgi professionnel, et qui n’a pourtant eu cesse de déployer des trésors d’énergie pour soutenir Rei – en qui il voit certes un rival mais surtout un ami précieux.

Ce tome 13 est également l’occasion de débuter le développement de l’ancien professeur principal de Rei qui a été l’une des figures de soutien les plus importantes lors des moments difficiles des premiers tomes. L’enseignant est ainsi présenté en tant que love interest potentiel d’Akari aux côtés d’un Shimada dont on découvre d’autres aspects plus matures et personnels en-dehors de sa qualité de joueur de shōgi. Poussés dans un ersatz de triangle amoureux par un Rei inquiet pour la douce Akari, les deux hommes se retrouvent ainsi dans des situations tantôt gênantes, tantôt comiques, alors qu’aucun des trois ne sait réellement ce qu’il veut ou ce qu’il devrait faire dans une telle situation. Un fil scénaristique qui se termine pas avec le tome 14 et que l’on a hâte de voir évoluer au cours des prochains volumes à paraître.

Enfin, notons pour la petite histoire que Chica Umino réussit à placer des personnages chers à son cœur dans ce tome 14, à savoir les protagonistes de son précédent manga : Honey and Clover. Cela faisait plusieurs tomes que les apartés de l’autrice en fin de volume faisaient référence à son désir de décrire le futur de ces personnages pour qui elle garde un profond attachement, et ceci est désormais chose faite avec un grand tournoi de shōgi inter-professionnel qui invite ces personnages et en profite brièvement pour décrire ce qu’est devenu leur quotidien depuis la fin de Honey and Clover. Cette insistance à vouloir à tout prix donner une conclusion supplémentaire à d’anciens protagonistes est une preuve de plus de la forte implication de Chica Umino dans l’écriture de ses personnages. Cet amour – n’ayons pas peur des mots – qu’il est difficile de ne pas ressentir au cours de la lecture, est à l’origine de ce souffle de vie qui anime chacun de ses personnages dans March Comes In Like A Lion. Et c’est bien là l’un des points forts de Chica Umino : en plus de réussir à décrire des situations du quotidien avec une justesse remarquable, l’autrice met un point d’honneur à donner de l’importance et de la profondeur à tous ses personnages, peu importe leur place dans le récit.

C’est ainsi que se termine notre série de critique sur March Comes In Like A Lion. La série de Chica Umino justifie à chaque tome l’engouement que son récit suscite au Japon, et impressionne même régulièrement des mangakas tels que Kentarô Miura, l’auteur de Berserk, qui en est un lecteur assidu. Précis et pertinent dans sa manière d’aborder les complexités de la vie, March Comes In Like A Lion est une œuvre émouvante et équilibrée capable de provoquer rires et larmes en une seule page – une prouesse qu’il convient de saluer. Ces 14 tomes ne déçoivent à aucun moment, et nous ne pouvons que les recommander à un large public qui se retrouvera forcément à un moment ou à un autre du récit. Soyons clair, si cela n’est toujours pas le cas malgré nos quatre articles à son sujet : March Comes In Like A Lion est un véritable chef d’œuvre à ne pas manquer.

 

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